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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 54.djvu/322

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peut être entendue de diverses manières, selon l’idée même qu’on se fait d’une nation. Deux erreurs doivent être ici évitées : individualisme exclusif et socialisme exclusif. La première absorbe entièrement la nation dans les individus ; la seconde absorbe les individus dans la nation ou dans tout autre groupe qu’on prétend lui substituer. Nous verrons que les excès de la première erreur, par une réaction inévitable, entraînent les excès de la seconde.

Ce qui domine toute la science politique, c’est ce principe de sociologie que la nation ne représente ni un pur contrat entre volontés, ni un simple organisme vivant, mais la synthèse des deux. Que le contrat implicite ou explicite entre individus qui s’associent joue un rôle prépondérant dans les démocraties modernes, c’est ce qui est incontestable : mais elles ne doivent pas oublier pour cela, comme elles l’oublient trop souvent, les liens organiques qui font de chaque patrie un corps animé, ayant sa structure et ses fonctions. C’est la considération exclusive du premier point qui aboutit à l’individualisme ; la considération du second, si elle était seule, aboutirait à l’anéantissement de l’individu dans l’organisme collectif, par conséquent au collectivisme. Nous voudrions montrer que la vraie démocratie doit éviter ces deux écueils, d’abord dans le domaine de l’éducation, puis dans celui des institutions nationales.


I

Ce qu’il y a de vrai et de juste dans l’individualisme, c’est que la personne humaine, conçue comme douée de « raison » et de « liberté, » a une valeur morale sans commune mesure avec toutes les valeurs matérielles, une valeur qui lui confère un droit au respect et à l’amour. L’individu se rend sacré et inviolable par l’idée même qu’il a de sa dignité possible et par la force inhérente à cette idée. Or tous les individus humains, passés et à venir, ayant la même idée directrice, ont les mêmes droits et, à ce titre, forment une vraie société humaine, non plus animale.

Aussi le point de vue individuel, quand il s’agit d’êtres intelligens, doit-il être absolument inséparable du point de vue social. Tout système est faux qui considère les personnes humaines sans leurs rapports avec l’ensemble, ou l’ensemble sans ses rapports avec les personnes. L’individualisme exclusif tombe dans le premier excès, ou, s’il met l’individu en présence