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consciences de nos futurs citoyens ! Non l’Etat n’a qu’un droit de surveillance, de protection et de concurrence en face des initiatives individuelles ou associées. L’Etat, dans le problème de l’éducation, n’est qu’un élément, il n’est pas le tout. Laissez-le s’ériger en tout, vous aurez un despotisme destructeur de la science et de la morale. Si absurde que soit une croyance, elle a ses élémens de vérité ; elle est utile pour empêcher votre croyance, à vous, de se prétendre définitive et absolue, de se faire ainsi tyrannique. Pourvu que, dans mon enseignement, je ne renverse pas les bases contractuelles de l’ordre social, auxquelles chacun adhère par un consentement implicite, c’est-à-dire les lois de justice inscrites dans les codes, j’ai le droit d’enseigner ce que je crois, ce que croient avec moi les païens qui me confient leurs enfans, dont ils ont la garde et la responsabilité. De même que le droit de la famille a pour limite le contrôle de l’Etat, le droit de l’Etat a pour limite la mission éducatrice de la famille. Mon enfant est à moi avant d’être à vous et à tout le monde, et, si j’ai pris la peine de le soigner, de l’élever, de le moraliser, ce n’est pas pour le voir arraché de mes mains, traîné malgré moi sous le joug des politiciens de l’heure présente. On ne saurait trop répéter que toute puissance tend à abuser d’elle-même, que la « volonté de puissance » dont parle Nietzsche a toujours besoin d’être tenue en échec par d’autres volontés. Cette balance de tous les pouvoirs n’est-elle pas le but même de la politique ? C’est surtout dans le domaine de la pensée qu’il faut bannir les monopoleurs.


IV

Les erreurs des systèmes d’éducation que préconisent les démocraties individualistes et socialistes se retrouvent, agrandies, dans leurs systèmes politiques. Occupons-nous d’abord de l’individualisme, et montrons les antinomies auxquelles il aboutit.

Une nation, quoi qu’en puissent dire les sans-patrie, n’est pas une réunion accidentelle d’individus, une rencontre de passans au même carrefour ; c’est une personne vivante et perpétuelle, qui a un corps organisé à conserver et à développer, des traditions, des droits et devoirs séculaires, des richesses morales et matérielles à défendre contre la passion ou l’intérêt du moment, contre la volonté même de la majorité présente. Car l’intérêt