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s’allume dans mon esprit éteint-elle celle qui brille au fond de votre pensée ? Tout au contraire ; plus il y a de foyers lumineux, plus la lumière est éclatante pour tous. De même, ma moralité vous prive-t-elle de la vôtre ? N’en est-elle pas, au contraire, le complément et, en partie, le soutien ? Tant que nous sommes dans la région des biens intellectuels ou moraux, nous sommes dans la paix et dans l’union. Là est la vraie démocratie, c’est-à-dire l’égalité réelle des libertés pour tous et la solidarité des biens moraux entre tous : démocratie civile, démocratie politique, démocratie sociale, mais non pas démocratie socialiste. Il y a entre les deux conceptions une barrière, celle qui sépare le droit de l’intérêt, la justice de la richesse.

Est-ce à dire que les inégalités excessives des biens matériels doivent subsister ? Pas le moins du monde. Mais il faut qu’elles disparaissent spontanément par le progrès du vrai régime démocratique. Il n’y a pas besoin pour cela de supprimer la propriété individuelle ; il faut, au contraire, la consacrer dans ce qu’elle a de vraiment légitime et de vraiment personnel. Il n’y a pas de confiscations ni d’expropriations à opérer ; il n’y a que des droits à défendre ou des dénis de droit à réparer. La tâche est déjà énorme ; du moins est-elle nécessaire et normale pour la société humaine ; mais la tâche de la distribution matérielle par la collectivité est surhumaine. La démocratie n’est qu’une organisation de libertés égales pour tous ; elle ne s’occupe pas du fond des choses, du contenu ; elle n’a pour but que de donner à tous les citoyens voix au chapitre, droit de voter, d’être représentés, droit de participer au gouvernement par ses mandataires. Malgré la simplicité relative de ce problème, que de difficultés et de complications qui, nous l’avons vu, aboutissent à fausser la démocratie, à la changer tantôt en oligarchie, tantôt en démagogie ! Que serait-ce s’il s’agissait de demander et de rendre à chacun selon ses capacités et selon ses mérites ?

On ne peut concevoir que deux modes d’administrer : l’un, par des corporations et syndicats comprenant les ouvriers qui travaillaient auparavant dans les usines : l’autre, par des fonctionnaires publics que le Corps législatif déléguerait pour diriger les industries devenues nationales. Mais, en ce qui concerne la première hypothèse, les ouvriers sont encore d’une incapacité notoire quand il s’agit d’administrer. Ce n’est pas tout d’un coup, par une action révolutionnaire ou par une décision législative,