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cause ; il y a comme une gaîté passagère qui traverse ce lieu de souffrance. Il est, cependant, un lit dont nul ne s’approche, une malade que personne ne vient voir. Quel âge a-t-elle ? Je ne sais, nul ne le sait. Elle doit être jeune encore, bien qu’il n’y ait plus de jeunesse sur ses traits. Elle est condamnée, elle ne peut guérir. Elle a laissé derrière elle, au quartier juif, un mari qui est venu d’abord la voir fréquemment. Peu à peu ses visites se sont espacées, ses manières sont devenues plus froides, plus gênées. Elle devine. Il a fait la connaissance d’une autre femme. Ce cœur, le seul bien qu’elle possédât au monde, n’est plus à elle. Lorsqu’elle est certaine du fait, lorsqu’elle lui a fait avouer la vérité, elle songe à ce qui va se passer, au double péché qui sera infailliblement commis. Un divorce peut empêcher cela, régulariser la situation de son mari et de cette fille. La loi juive lui permet de signer un acte de renonciation qui délie son mari de tout devoir envers elle. Elle signera cet acte. La joie de l’homme, mal dissimulée, le vague remerciement qu’il balbutie, l’air moutonnier de cette belle fille qu’il amène près de la malade, insolente de santé, mais un peu honteuse et pressée de s’enfuir, sont autant de déchiremens. Mais ce n’est rien à côté du néant où elle va tomber vivante, isolée du genre humain, dans ce lit d’où elle ne sortira plus que pour passer dans un cercueil, sans autre diversion à la torture morale que la torture physique. Combien de temps durera son agonie ?… Des semaines ? Des mois ? Des années ? Dieu clément, est-on tenté de s’écrier, accordez-lui la mort en récompense de son sacrifice ! Le jour où j’ai lu l’Incurable, j’ai cru toucher le dernier fond de la douleur humaine.

M. Zangwill était à l’apogée du succès lorsqu’il épousa miss Ayrton, fille d’un professeur bien connu et d’une femme distinguée qui a donné au public plusieurs livres notables. Ce mariage lui ouvrait une sphère nouvelle de la société anglaise et, par conséquent, un nouveau champ d’observations. Pourquoi ne ferait-il pas pour cette société ce qu’il avait fait pour le Ghetto ? L’idée dut se présenter à lui, si elle ne lui fut pas suggérée par ses nouveaux amis. Dans the Mantle of Elijah, où le titre seul est biblique, il traça un tableau satirique du haut monde politique en mêlant les parvenus de la littérature et de l’art aux privilégiés de la naissance. Deux hommes y personnifiaient les deux âges de la démocratie qui a été un rêve généreux