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trouve son amie presque anéantie par la souffrance. Mais, lorsque toutes deux ont regagné la capitale avec l’hiver de 1841, lorsque Eugénie commence son second séjour parisien, — non pas cette fois dans le provincial quartier du Cherche-Midi, mais dans une belle demeure dont les fenêtres donnent sur le Jardin des Tuileries, centre du Paris élégant de Louis-Philippe, — la baronne reprend assez de forces pour chercher des distractions dans la vie mondaine et pour y mêler sa commensale. L’absente avait d’abord écrit en Languedoc qu’on ne la croirait pas à Paris, qu’il s’en faut de bien peu qu’elle n’y soit point en effet, puisqu’elle se voit confinée au chevet d’une infirme et que « tous les murs se ressemblent. » Elle les franchit à l’occasion pourtant, ces murs tendus de satin, puisqu’elle reprend dans la même lettre à Louise de Bayne : « Que Paris vous plairait ! Ce bruit, cet éclat, ce monde, cet esprit, ces choses qu’on ne voit pas ailleurs, ces hommes distingués, ces femmes élégantes ! Paris, en un mot, vous charmerait et il me prend de vous souhaiter à ma place, moi, indigne du lieu où je suis, moi qui suis plus touchée d’un chant de grive sur les genévriers du Cayla que des concerts de Valentino. Jugez si c’est étrange et si cela fait rire ! Et néanmoins, on m’aime beaucoup, enfant gâtée de cœur que je suis. »


IV

Ainsi Mlle de Guérin se commente elle-même ; mais tel ne fut pas, sur ses dispositions morales à cette époque, l’avis de Barbey d’Aurevilly, spectateur privilégié de son existence parisienne, et c’est ici qu’il va nous étonner par ses interprétations excessives. Le 1er octobre 1851, il écrit à Trébutien : « Eugénie de Guérin était venue à Paris pour le mariage de son frère. Très liée avec la baronne de Maistre, on lui mit des robes faites par Palmyre sur ses épaules ascètes de Marie l’Egyptienne et on la conduisit partout au faubourg Saint-Germain. Elle y fut ce qu’est une fille de race que rien n’étonne et qui devine tout : une fille des Guarini d’Italie, une arrière-nièce de grands maîtres de Malte et de cardinaux de la Sainte Eglise romaine[1]. Elle

  1. Ces assertions sont empruntées par Barbey à une notice généalogique que lui fournit Eugénie elle-même et qui fut publiée plus tard par Trébutien à la fin des Œuvres de Maurice. Quelque grand-père à l’imagination complaisante avait sans doute préparé la rédaction de ce document en s’annexant la gloire de tous les Guérin rencontrés par lui dans les chroniqueurs, — celle par exemple de ce Guérin, évêque de Senlis, qui régla l’ordre de bataille de l’armée française à Bouvines. — Mais Guérin, ce nom de baptême germanique, fort répandu au moyen âge, n’était probablement pas le privilège d’une seule famille. Ainsi nous avons montré ailleurs Gobineau se faisant honneur de tous les Gauvain qui figurèrent jadis dans la chevalerie européenne. — « Vous connaissez ma naissance : elle est honorable et voilà tout, » écrit quelque part Maurice de Guérin, sur ce point moins romantique que sa sœur. Il est certain seulement que leur noblesse était authentique et de bon aloi.