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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 54.djvu/418

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même cette conviction en termes si hardis que nous préférons ne pas les reproduire par respect pour la noble mémoire qu’il met en cause[1]. Mais nous ajouterons aussitôt à sa décharge qu’il entendit cacher au public sa pensée à cet égard. On ne le verra pas, dit-il, se vanter dans une notice faite pour le lecteur d’avoir inspiré une passion à la pauvre fille. Car il y a, poursuit-il avec sa fatuité coutumière, trois choses dont les gentilshommes et les gens de goût (ces gentilshommes de la Nature) ne parlent jamais aux indifférons : leur naissance, leur bravoure et leurs conquêtes. « Faire une confidence à un ami comme vous, soit ; le mettre au courant des choses de sa vie n’est pas une révélation à la Rousseau dans un livre destiné à tout le monde. Je méprise Rousseau et ses façons de dire et de faire : que serais-je donc si j’allais l’imiter. »

Barbey apprend encore à son correspondant que, chez Eugénie, la séduction mondaine comme la séduction sentimentale (si tant est que cette dernière ait jamais effleuré son cœur) furent en même temps et brusquement tranchées dans leur racine par un accident dont rien n’a transpiré dans les publications de Trébutien. L’amitié de Mlle de Guérin et de la baronne de Maistre, depuis quelques années si tendre de part et d’autre et même si passionnée d’une part, aurait fini soudain par une brusque rupture et par une brouille que nulle réconciliation ne devait suivre. Voici sur ce dernier point les incomplètes et pourtant décisives confidences des Lettres à Trébutien : « Le milieu de femmes dans lequel Eugénie vécut lui fit plus de mal que de bien ; il y eut une bataille à trois qui emporta trois amitiés à jamais dans un drame de jalousie et laissa des blessures qui saignent encore aujourd’hui : je vous conterai cela quelque jour. Cela me serait impossible aujourd’hui : les souvenirs aussi ont des nerfs ! »

Bataille à trois, dit Barbey. Serait-ce donc Eugénie, Jules et Marie heurtés dans quelque conflit de sentimens dont il ne serait

  1. Voyez Lettres à Trébutien, II, 69. — Nous n’insisterons pas non plus sur son appréciation des rapports qui unirent Eugénie à sa belle-sœur, Mme Maurice de Guérin : déjà dans ses Memoranda il les avait conçues comme rivales secrètes et montré la jeune Indienne aiguisant son œil de colombe en œil d’aigle pour épier l’effet produit sur lui par Mlle de Guérin. — A Trébutien il recommande de ne pas croire aux mansuétudes des lettres d’Eugénie : « Comme toutes les femmes, même les meilleures, elle s’entendait aux duels aux épingles et quand elle avait fait la piqûre, elle mettait dessus la goutte de citron de la fausse pitié avec des coquetteries de Samaritaine qui regarde si on la guette dans les chemins de Jéricho ! »