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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 54.djvu/462

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abbé vénéré, le Père Flamain, avec promesse de ne se séparer qu’à la mort. On chercha un endroit retiré, caché par le feuillage aux regards des humains. Cette petite thébaïde fut découverte à Trucy, village inconnu, abrité par une haute montagne, et dont le site rappelait Cuissy. Là ces moines, fermant l’oreille aux bruits du dehors, laissant à peine arriver jusqu’à eux l’écho lointain des tragédies sanglantes qui se jouaient dans leur patrie, assez heureux pour échapper dans leur retraite aux coups des envahisseurs qui les avaient chassés de leur première demeure, passèrent leurs dernières années à prier, à pleurer, à oublier, à espérer. Même aux yeux du monde, n’étaient-ils pas les vrais sages ? La pensée de Dieu, la fidélité à leur vocation fit ainsi briller sur le couchant de leur vie un rayon de bonheur et de lumière qui ne manquait pas de poésie. Ils moururent l’un après l’autre dans leur sainte retraite, et, à chaque trépas, leur dépouille fut déposée auprès du corps de leur abbé qui semblait présider à leur sommeil éternel.

Que n’y eut-il plus de religieux capables de se montrer ainsi supérieurs à leur infortune, et de faire une belle fin à une institution qui fut si grande ! Malheureusement, nous avons vu la majorité en proie à une langueur dissolvante, qui avait détendu les ressorts de la volonté et paralysé les fortes résolutions. Comme un trop grand nombre avaient perdu le secret de bien vivre, ils ne surent pas bien mourir. Une compensation se prépare. L’Eglise humiliée par les hommes prendra sa revanche avec les femmes. L’âme des religieuses va rendre un autre son que celle des moines.


Abbé A. SICARD.