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y tenant la même place qu’occupe la musique, par exemple, dans le travail comme dans les fêtes du peuple allemand. Disparu désormais de la plupart des régions de l’Europe, ce genre vénérable et charmant continue à vivre dans les villages catholiques de l’Irlande, après y avoir fleuri, au long des siècles, avec une richesse et une beauté poétique dont l’équivalent ne se rencontrerait, peut-être, que parmi les anciennes traditions de quelques races slaves. Mais il n’y a pas jusqu’aux paysans petits-russiens qui ne se soient, aujourd’hui, déshabitués d’un passe-temps que paraissent avoir définitivement remplacé, dans leur existence familière, les plaisirs plus actifs de la danse et du chant, pour ne rien dire de ceux du régime « constitutionnel : » tandis que le paysan irlandais, de nos jours comme au temps de Donn-bo, ne connaît pas de jouissance plus parfaite que la libre expansion du génie de conteur qui s’agite en lui. Récemment encore, dans la préface d’une très intéressante collection de Contes Gallois[1], M. Jenkyn Thomas nous apprenait que « la coutume de raconter des contes se trouvait maintenant à peu près éteinte au Pays de Galles : » en Irlande, cette coutume a conservé d’assez profondes racines pour que les deux tiers au moins des Contes Irlandais que vient de publier la même librairie nous soient présentés comme ayant été recueillis, à notre intention, de la bouche d’habitans de tel ou tel comté.

Aussi ne saurais-je trop louer l’intérêt et la portée instructive de ce volume nouveau, tout imprégné, en quelque sorte, d’une atmosphère vivante qui manquait malheureusement aux Contes Gallois exhumés naguère par M. Thomas, de même qu’elle fait toujours plus ou moins défaut à la précieuse série de contes de tous les temps et de tous les pays que découvre et « adapte » pour les enfans anglais, presque chaque hiver depuis bientôt vingt ans, l’inépuisable érudition « folkloriste » de M. Andrew Lang[2]. Jaillissant tout droit des lèvres de paysans irlandais d’à présent, ces récits d’aventures héroïques ou burlesques nous parviennent avec une véritable fraîcheur d’ « actualité, » comme si nous voyions devant nous, en les écoutant, le sourire, à la fois amical et plein de malice, qui les accompagne sur le bon visage épanoui du narrateur. Et s’il est toujours vrai, ainsi qu’on l’a dit, que

  1. The Welsh Fairy Book, par M. Jenkyn Thomas, avec des illustrations de Willy Pogany, 1 vol. in-8. Londres, librairie Fisher Unwin, 1908.
  2. The Fairy Books Series, edited by Andrew Lang. Londres, librairie Longmans and C°. — Cette nombreuse série, encore complétée par plusieurs volumes de Books of Romance, de Books of Animal Stories, etc., et délicieusement illustrée par M. H. J. Ford, constitue dès maintenant une véritable bibliothèque de contes et légendes populaires, ressemblant un peu à notre ancien Cabinet des Fées.