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épisodes bouffons de la lutte séculaire des paysans de Kildare et des méchans Puckas.

Malheureusement, l’âme d’un peuple est chose trop complexe pour qu’on puisse tâcher à en saisir l’ensemble : sans compter que l’âme du peuple irlandais, en particulier, telle que nous la trouvons exprimée dans ses contes, me paraît bien dépasser encore celle des autres races par l’extrême diversité de ses vertus comme de ses défauts. C’est une âme à la fois simple et raffinée, volontiers excessive dans ses manifestations, et certainement la plus riche qui soit en contrastes moraux. Mais, entre tous les aspects qu’elle nous présente, il y en a deux, surtout, qui ressortent avec un relief singulier de la lecture du recueil de M. Alfred P. Graves : deux aspects que je vais essayer de définir brièvement, au moyen d’un petit nombre d’exemples tirés du volume un peu au hasard.


Le premier de ces traits caractéristiques de l’âme irlandaise est la prodigieuse fécondité de l’invention romanesque. On sait que le reproche le plus courant des Anglais à l’endroit de leurs voisins et éternels ennemis de « l’autre île » est d’avoir un profond besoin naturel de mensonge ; mais je crois bien que l’Irlandais le plus véridique, avec le tour d’esprit que nous révèlent ces contes de sa race, doit encore inévitablement sembler un menteur aux yeux de tout Anglais, tant est grande la différence de l’imagination, — ou plutôt du mécanisme intellectuel tout entier, — chez l’un et l’autre peuple. C’est de quoi l’on pourra se convaincre aussitôt en comparant, simplement, les contes irlandais du recueil de M. Graves avec les plus beaux contes de cette nation galloise qui passe cependant, elle-même, pour avoir gardé sans mélange l’ancien et vénérable trésor du génie celtique.

Impossible de concevoir une opposition plus marquée dans la manière de se représenter, de répartir, d’orner et d’exprimer les mêmes sujets. D’une part, chez le Gallois, une trame suivie et serrée, la précision narrative poussée jusqu’à la sécheresse, le souci scrupuleux de conserver à la fable une certaine apparence de réalité positive ; chez l’Irlandais, d’autre part, une fantaisie créatrice constamment en travail, un désir inconscient de varier et d’embellir les moindres épisodes, un merveilleux dédain de tout ordre logique qui, vingt fois, amène le conteur à changer tout à coup la direction que suivait l’histoire, mais toujours afin de revêtir celle-ci d’un surcroît d’émotion vivante et d’agrément poétique. Évidemment, nous avons là levant nous deux natures à jamais inconciliables, hors d’état de se comprendre