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toutes les heures du Jour. D’Aigues-Mortes à Elne, c’est une succession presque ininterrompue d’étangs aux noms sonores, qui caressent l’oreille et l’imagination : Maguelonne, Thau, Valcarès, Salses, Leucate, Sijan !… Les beautés essentielles qui font les grands paysages sont, ici, réunies : la mer, les lagunes, les montagnes, — de grandes surfaces lisses et miroitantes, où se joue et chante la lumière ! On voudrait s’arrêter, pour y surprendre d’insaisissables symphonies de nuances, dans un de ces villages de pêcheurs, petits îlots de cabanes bâties sur pilotis, dont les toits mornes émergent seuls dans la solitude des étangs. Le train va trop vite, — pas si vite pourtant que les dégradations de cette féerie lumineuse qui se renouvelle de minute en minute. Voici Leucate : à perte de vue, du côté des Corbières, la plaine d’eau est teinte d’une invraisemblable couleur orangée ; là-bas, du côté de la mer, elle est d’un gris perleux, comme les Baltiques les plus livides. Le flot amorti bat doucement le bord vaseux, où l’écume saline se dépose en bulles neigeuses. Parmi les herbes tristes, les moisissures aquatiques, une barque à l’abandon reflète son image lugubre dans cette immensité ; et, bien au-delà, tout au fond, derrière une mince bande noirâtre, une pellicule sablonneuse qui semble sur le point de se dissoudre sous l’assaut des vagues, — la mer blême et glauque, la mer méchante s’enfle tumultueusement vers le ciel. Plus rien : c’est la fin des terres, la grande désolation du vide et des espaces crépusculaires…

Le train passe, les lagunes s’éteignent, — et aussitôt recommence la gaieté des plaines et des collines vineuses : grasses contrées bucoliques, que relèvent le profil sévère de l’Aigoual et la chaîne violette des Cévennes. L’ardeur méridionale s’y marie à la fertilité du Nord. Comme dans la vallée du Pô, les sèves végétales ont, ici, un regorgement, et les verdures, un lustre incomparables. Les jeunes pousses des vignes y gonflent leurs vrilles écarlates parmi les clairs feuillages des platanes et des oliviers. L’acidité des verts septentrionaux s’y adoucit dans les ors et dans les bleus légers des ciels.

Et à cette magnificence de la terre s’ajoute la parure des villes. Quelle belle couronne murale le long de cette grande avenue maritime !… Nîmes, avec ses débris antiques et son étonnant jardin de la Fontaine, un peu cérémonieux et compassé, mais qui, dans le voisinage des arènes et des temples en