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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 54.djvu/583

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un des angles, un jet d’eau à demi tari s’égoutte, au milieu d’une vasque lourde comme une meule et toute verdie de mousses aquatiques. Un grondement d’orgue s’échappe, de temps en temps, par les vantaux entr’ouverts du grand portail…

Ces psalmodies lointaines, ces verdures, ces images pieuses, ces bêtes domestiques qui ont leur basse-cour dans un coin du sanctuaire, les guenilles des mendians et les dorures des retables, les murs hospitaliers du cloître et les sculptures symboliques qui les recouvrent, tout cela compose une retraite si doucement murmurante, si parfaitement harmonieuse, si belle et si parlante pour l’esprit, qu’on resterait des heures à en savourer le charme. On se sent véritablement au cœur de la cité, au point vital où s’enfoncent ses racines les plus profondes. On a l’illusion que, depuis des siècles, rien n’y a bougé, que les choses se sont toujours passées ainsi ; que, depuis un temps immémorial, Barcelone qui travaille, qui flâne et qui prie vient ici se mirer dans l’eau bleue de ce bassin, où respire et resplendit toute la joie de sa lumière.


IV. — LE MANCHESTER ESPAGNOL

Barcelone, ville de joie et de lumière, est aussi une ville de sueur et de fumée. Si elle aime le loisir, elle sait le gagner vaillamment.

Les pamphlétaires qui dissertent a priori sur la paresse espagnole et qui en découvrent la cause dans le catholicisme, usent de mille argumens sophistiques pour expliquer et, en quelque sorte, pour excuser l’activité catalane. D’après eux, si les Barcelonais travaillent, c’est évidemment parce qu’ils sont républicains et libres penseurs. Et voilà pourquoi votre fille est muette ! Que des écrivains à prétentions intellectuelles osent encore nous resservir cet argument de réunion publique, j’avoue que cela me passe !

Le catholicisme n’a rien à voir dans cette affaire. Quand les Espagnols ne travaillent pas, c’est qu’il n’y a personne pour les employer. Une telle inertie est malheureusement trop fréquente dans les régions pauvres de la Péninsule. Là, tout fait défaut : les ressources matérielles, les capitaux, l’initiative privée. On végète dans une médiocrité routinière et, en somme, fort plaisante, sans que la religion en soit le moins du monde responsable.