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impossible. » C’est, au reste, ce dont il convenait lui-même quand il lançait cette boutade familière : « M. de Maurepas rit de tout, M. Turgot ne doute de rien, et moi je doute de tout et je ne ris de rien. Voilà un f… ministère[1] ! »

L’échec de son grand projet de réformes dans la Maison du Roi vint achever son dégoût. Des différens chapitres de dépense, c’était assurément, selon sa judicieuse remarque, celui où les abus provoquaient le plus de scandale, celui où l’on pouvait « tailler » avec le moins de scrupules : « Dans la Guerre, la Marine, les Affaires étrangères, écrivait-il au Roi, en même temps qu’on demande la diminution des dépenses, on craint aussi de diminuer les forces du royaume ; dans la Maison du Roi, on n’a pas la même crainte. » Aussi préparait-il, d’accord avec Turgot, « un plan général de réformation économique. » Ce plan fut prêt en avril et soumis sur-le-champ à l’examen de Maurepas. Ce dernier jeta les hauts cris ; pas une des mesures proposées ne trouva grâce à ses yeux. Il eût sans doute cédé devant une ferme volonté et une longue insistance ; Malesherbes, semble-t-il, n’essaya même pas de la lutte. Discuter, se fâcher, imposer ses résolutions, nul rôle ne convenait moins à ce charmant rêveur, aussi éloquent et habile dans le maniement des idées que gauche et désarmé dans la bataille contre les hommes. Sa démission, de ce moment, fut arrêtée dans son esprit ; ce fut bientôt chez lui un désir maladif. Maurepas, loin de le retenir, parait avoir tout fait pour l’y encourager. En écartant le seul allié que le contrôleur général conservât dans le ministère, en isolant Turgot dans le conseil du Roi, il se sentait sûr de sa chute, et il se saisit de l’atout avec son astuce ordinaire.


On ne sait à quelle date précise Louis XVI fut informé de la décision de Malesherbes. La lettre qu’on va lire indique du moins qu’au début de cette crise il n’y eut pas d’explication verbale entre le Roi et son ministre. Cette lettre, écrite par Malesherbes à Louis XVI au mois d’avril 1776[2], est empreinte d’une émotion grave qui gagne le lecteur, et je me reprocherais de ne pas citer en entier ce qui en est parvenu jusqu’à nous :

  1. Souvenirs de Moreau.
  2. Le brouillon, malheureusement incomplet de cette lettre, que je crois inédite, fait partie de la belle collection de M. Gustave Bord, qui a bien voulu me le communiquer.