Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 54.djvu/597

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

connaît chez nous la politique, la littérature et la sociologie espagnoles. Je me souviens, à ce propos, qu’il s’emporta contre un de nos démagogues les plus hirsutes, qui, pour lors, évoluait en Espagne et qui, sous forme d’impressions de voyage, remplissait la presse française de tous les étonnemens et de tous les préjugés de son ignorance : « — Votre gouvernement, me disait-il, devrait bien fonder des bourses d’études à l’usage de vos parlementaires, ne fût-ce que pour leur apprendre un peu de psychologie ! » — Hélas ! ce serait tellement inutile !

Est-il besoin d’ajouter que tous les journalistes barcelonais n’ont point la valeur de celui-là ? Ce qu’il y a de sûr, c’est que dans l’élite bourgeoise et même aristocratique, le goût de la culture intellectuelle est général. Les résultats sont divers, cela va de soi, suivant les tempéramens, le degré des aptitudes. Parmi ces hommes cultivés, il y a bien des utopistes, dont le langage naïf me rappelait celui de nos illuminés de 1848. Il y en a, par exemple, qui se promettent des merveilles de l’instruction laïque. Un républicain attaquait devant moi l’éducation des Jésuites, dénonçait avec d’âpres sarcasmes l’état précaire des actuelles universités espagnoles, — et il ne doutait point que la Péninsule tout entière ne dût être régénérée, lorsque enfin les professeurs auraient des « traitemens d’archevêques ! »

— Mais, me disait-il, nous ne sommes pas des Jacobins féroces. Nous ne voulons rien brusquer ! Le peuple n’est pas mûr !

Et, avec une bonhomie toute méridionale :

— Moi qui vous parle, je suis entrepreneur de bâtisses. Je connais mes hommes, je vis avec eux ! Pour les élever, il faudra procéder très lentement !

« Je connais mes hommes ! » Quel beau mot ! Combien de nos industriels, ou de nos administrateurs en pourraient dire autant ! Pour moi, cela me rassurait un peu sur les tendances des partis espagnols les plus avancés. Quel que soit l’étourdissement produit dans les consciences par une hasardeuse propagande révolutionnaire, ce contact assidu de l’élite avec la foule empochera peut-être l’Espagne de commettre bien des sottises.

Je songeais en même temps à une visite que je venais défaire dans une usine des environs et dont le propriétaire, — un des plus fermes appuis du trône et de l’autel, — vit, une partie de la semaine, au milieu de ses ouvriers. Je revoyais son ancienne