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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 54.djvu/600

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Vont-ils, comme le proclament encore quelques énergumènes, se séparer décidément de l’Espagne ? Tous les esprits sérieux répugnent à cette solution extravagante du séparatisme. D’abord, ils ne s’illusionnent pas sur les aléas d’une pareille aventure : ce serait la guerre inévitable, une guerre d’extermination, où le commerce et l’industrie de Barcelone risqueraient de sombrer. Ensuite, même en admettant l’hypothèse d’un arrangement à l’amiable, ce serait troquer la sujétion espagnole contre une autonomie précaire, sous le protectorat forcé d’une grande puissance. Quel Etat européen voudrait accepter une responsabilité pareille ! Aux quelques exaltés qui caressent le rêve de rattacher à la France la Catalogne républicaine, les gens calmes répondent que la centralisation française exercerait sur la Catalogne une influence aussi funeste que sur nos provinces méridionales. Dans ce cas, — comme l’écrivait assez drôlement un de leurs publicistes, — ce ne serait pas la peine de renoncer à être la tête de l’Espagne pour devenir la queue du Roussillon !

Les Catalans sont trop pratiques et trop avisés pour ne pas sentir ce qu’il y a de chimérique et de déraisonnable dans l’idée séparatiste. Ils ont trouvé un moyen plus sûr et plus facile de se libérer. Etant « la tête de l’Espagne, » ils imposeront leur hégémonie à toute la Péninsule. Et c’est effectivement à quoi se réduit l’essentiel de leur programme politique. Ils le disent très haut : leur ambition est de catalaniser l’Espagne. Déjà Madrid est obligée de compter avec eux. Ils se flattent qu’aucune combinaison ministérielle, qu’aucun groupement parlementaire ne soit viable sans l’appui et l’assentiment des Barcelonais. Maintenant ils rêvent d’obtenir bien davantage. Pour cela, deux voies leur sont offertes : ou bien la pénétration pacifique, ou bien l’invasion révolutionnaire, les armes à la main. A la monarchie renversée succéderait une république fédérale, chaque province gardant son autonomie sous la haute direction des républicains catalans. Mais les modérés reculent devant la perspective d’une guerre civile. Ils comprennent combien la question ainsi posée est irritante et humiliante pour les autres Espagnols. Ils prétendent réussir par la persuasion et par la contagion de l’exemple. Ils s’évertuent à dépouiller l’hégémonie catalane de ce qu’elle peut avoir de blessant pour l’amour-propre de leurs compatriotes. Toutes les concessions possibles, ils les préconisent : on ne se séparera point ! La Patrie est déjà assez réduite par la perte de