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prince a ensuite exprimé le regret que le Roi se soit privé du concours du duc d’Otrante.

— Depuis le départ de ce ministre, dit-il, les affaires n’ont fait qu’empirer. Je le regarde comme le seul homme qui ait dans les mains le moyen de rallier les Français sous les bannières royales. On aurait dû le conserver à quelque prix que ce fût.

En finissant, il a témoigné la crainte d’une guerre prochaine dont la France serait la victime.

— La Prusse, a-t-il ajouté, veut la mettre au pillage, pour satisfaire sa haine et la rapacité de ses soldats. Le seul espoir qui nous resterait en cas d’une guerre nouvelle serait dans la Russie dont les troupes sont placées de manière à arriver les premières à Paris et pourraient, dès lors, en empêcher la destruction.

Il n’y a pas lieu de s’attarder à essayer ici de faire un départ entre ce qui dans ces lettres reproduit fidèlement l’opinion du Duc d’Orléans et ce qui l’exagère ou la dénature. On sait qu’en 1816 il désapprouvait les actes du gouvernement de Louis XVIII : par conséquent, ce qu’il en dit à son interlocuteur semble avoir été très exactement répété par celui-ci. Mais, que le prince ait poussé plus loin ses confidences ; que mesuré, réservé, prudent comme il l’était, il ait manifesté l’intention de chercher à s’emparer de la couronne à la mort du Roi et qu’il ait exposé avec tant d’abondance et de légèreté la conduite qu’il comptait tenir alors, voilà ce qu’on croira difficilement. Ce qui autorise plus encore le doute, c’est sa très correcte attitude envers Charles X jusqu’en 1830, et aussi, la bienveillance que celui-ci, depuis son avènement jusqu’à sa chute, ne cessa de lui témoigner. Tout porte donc à admettre qu’au moins sur un point, le zèle de ses interlocuteurs les a entraînés à dépasser sa pensée.

Ce fut sans doute l’opinion de Louis XVIII, car, en dépit des rapports et des lettres que je viens de citer, ses relations avec le Duc d’Orléans ne furent pas modifiées. Au mois d’avril de l’année suivante, le prince étant venu le voir, il le reçut avec bonté. Il écrivait ensuite à Decazes :

« J’ai vu M. le Duc d’Orléans. On ne saurait tenir un meilleur langage que le sien. Je lui ai conseillé de tenir une conduite fort mesurée, sur quoi il m’a assuré qu’il était très résolu