Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 54.djvu/665

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

années ; enfin, au lendemain de l’annexion de la Bosnie et de l’Herzégovine, la solution de la question polonaise devient pour l’Europe celle dont dépend le plus le développement de la puissance allemande.


I. — LE POINT DE VUE RUSSE ET LE POINT DE VUE POLONAIS

En Russie comme en Pologne se sont formes depuis les événemens de 1904-1905 des partis à programmes minutieux très divers, qui ont leurs points de vue particuliers sur la question de la Pologne dans ses rapports avec l’Empire Russe, mais ont le plus souvent affecté de ne point se prononcer sur elle avec précision : jusqu’à cette année on l’a étouffée dans la Douma, non seulement dans la salle des délibérations, mais dans les couloirs, sous un silence sourd, ce silence glacial si pénible pour ceux qui ne sont point acclimatés à l’atmosphère du pays ; la majorité, opportuniste, a évité de donner son sentiment, ne s’étant point arrêtée à un avis net, laissant aux circonstances prochaines la liberté de peser de tout leur poids sur son indécision. Il en importe davantage de considérer avant tout le sentiment général et instinctif, très puissant, qui s’est depuis lors accentué dans les masses touchant la nationalité.

Pour les Russes, à très peu d’exceptions près, la Pologne est et doit rester incorporée à l’Empire. En vain des organes officieux très sérieux ont pu lancer l’idée d’une cession à l’Allemagne, contre les milliards qu’on lui doit, de ce pays coûteux, toujours agité, difficile à défendre autant qu’à gouverner ; en vain l’on peut répéter les propos d’Alexandre II[1] à ce sujet et leur rendre une valeur d’actualité au lendemain des désastres de Mandchourie, les Russes tiennent essentiellement à la Pologne. Ce n’est pas Pétersbourg, c’est Varsovie qui est leur vraie « fenêtre sur l’Europe. » Ils y viennent s’européaniser ; elle est

  1. « Bien des Russes, et Alexandre II tout le premier, sentaient que la Pologne était pour leur patrie plutôt une source d’embarras qu’un principe de force. Beaucoup, encore aujourd’hui, comme Alexandre II le disait alors à Milutine, abandonneraient volontiers les Polonais à eux-mêmes, leur accorderaient sans peine une large autonomie, ou mieux une pleine indépendance, s’ils croyaient le petit royaume de Pologne assez fort pour vivre tout seul ou assez sage pour ne pas revendiquer, avec les anciennes limites de la République polonaise, des provinces intermédiaires qui, aux yeux des Russes, sont russes de nationalité. » Anatole Leroy-Beaulieu, Un homme d’Etat russe p. 163.