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substantielle vigueur dans leur résignation, qui est toute de réserve au lieu d’être passive. Le pouvoir fort les ayant frappés durement, tous les Polonais se regardent comme affinés encore par l’aristocratie du martyre : les désastres et les désordres de l’Empire les ont confirmés dans l’idée qu’ils restent supérieurs en civilisation aux « moskals » et qu’ils finiront par triompher. Ils font valoir que plus d’un siècle de domination n’a pu étouffer ni corrompre leur patriotisme, affaiblir leur caractère, épuiser leur race ; pour le surplus, leur esprit a évolué, surtout depuis 1863, est devenu positiviste et pratique de mystique et romantique qu’il était ; la fortune privée s’est accrue ; la population se maintient vigoureuse et laborieuse. Ils pensent qu’en 1905, ils auraient pu reconquérir la liberté si l’Allemagne ne s’était montrés prête à envahir leur territoire et si leurs partis d’extrême gauche eux-mêmes ne s’étaient refusés, par solidarité avec ceux de la Russie, à tenter un mouvement insurrectionnel. Ils éprouvent pour le peuple russe des sympathies de fraternité slave, dans lesquelles entrerait plutôt de la condescendance affectueuse pour son infériorité intellectuelle qu’une prédisposition à se laisser russifier. Se rappelant qu’ils possédaient avant les Russes une littérature nationale, ils croient offrir un esprit plus mûr et plus érudit, apte aux souplesses de l’activité et de la diplomatie occidentales. Ils se reconnaissent des défauts de caractère et des vices politiques, enclins à la démagogie, dépensiers, brouillons, parfois viveurs, mais avec plus de mesure et de dignité que leurs voisins, plus équilibrés en un mot. Même dans la douleur publique, la mentalité du pays cependant plus âgé en civilisation ne s’est pas laissé corrompre comme celle de la Russie par la philosophie pessimiste allemande : la Pologne n’a toujours eu que des révolutionnaires, jamais de nihilistes. Ils sont persuadés que, dans l’état actuel des choses, Saint-Pétersbourg et Moscou ne peuvent se passer de leur concours, si le gouvernement veut sérieusement entreprendre la régénération économique de l’Empire et la reconstitution d’une armée solide en face du pangermanisme menaçant. Ils se tiennent donc prêts à donner, non leur soumission à une politique de russification, mais leur aide loyale en échange de concessions gouvernementales.