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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 54.djvu/709

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ou dans l’autre, se trouva mêlé à cette extraordinaire aventure religieuse. C’est, en un mot, la société entière du grand siècle. Mme de Sévigné y figure éblouissante, à cause de son goût pour les écrits-de Nicole, — elle voulait en faire « un bouillon, » — de son admiration pour M. d’Andilly, et de la lettre charmante où elle appelle Port-Royal « le séjour des anges sur la terre ; » le grand Condé, pour sa réplique à La Feuillade, qui menaçait de couper le nez à tous les jansénistes : « J’espère, monsieur, que vous ferez grâce à celui de ma sœur ; » le poète Chapelain, parce que M. de Saci estimait sa Pucelle ; le médecin Gui Patin, quoique sentant le fagot, parce que les Jésuites étaient sa bête noire, et qu’il jubilait des bottes que leur portait Arnauld. Les titres de chacun sont scrupuleusement pesés selon l’équité port-royaliste. De là un classement assez inattendu. Les premiers sont les derniers. Un simple jardinier, comme l’excellent M. Charles, précède des bienfaiteurs comme le duc de Luynes. Le Roi se perd au loin dans la foule. Et ce changement d’optique ou cette interversion de rôles n’est pas le trait le moins piquant de cette immense comédie humaine, qui embrasse tout le siècle et l’engage de gré ou de force dans les vicissitudes d’une querelle monastique.

A vrai dire, ce sont uniquement les personnages de Port-Royal que nous cherchons dans cette galerie. Ils sont là tous, ou presque tous, moins un petit nombre dont il a été jusqu’ici impossible de découvrir le portrait. Quant aux principaux, pas un ne manque ; et quelques-uns des plus considérables s’y retrouvent en plusieurs états, et comme en diverses épreuves, données successivement par l’âge, ou par la vision de différens artistes. C’est ainsi que nous avons Pascal, dans le précieux croquis du juriste Domat, à l’âge où, à Clermont, avec « des barres et des ronds, » le merveilleux enfant inventait la géométrie ; puis, dans la splendide planche d’Edelinck, fiévreux, moite, le front brûlant et dénudé, l’œil plein d’éclairs ; et enfin, mort, dans la rigueur maigre et livide du plâtre, masque saisissant de César ennuyé, avec sa moue de paix, de satiété et de dédain. Il arrive ainsi que nous trouvions le mot de caractères difficiles. Tout le monde connaît, au musée de Versailles, le magnifique Saint-Cyran de Philippe de Champagne : on n’oublie plus, pour l’avoir vue une seule fois, cette tête d’un volume énorme, posée, presque sans cou sur le rochet empesé, et toute compliquée et embrouillée de rides. : tête admirable de médecin, d’ « Hippocrate spirituel, » comme la définit Sainte-Beuve, une de ces têtes, ajoute-t-il, « qui ne trouvent leur beauté qu’en tournant au vieillard. » Sainte-Beuve