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l’ami cru grand Arnauld, son satellite et sa victime, ayant peur de son ombre, et qui se trouva, sans savoir comment, embarqué en pleine mer et en pleine tempête, lui qui ne passait pas la Seine sans emporter deux calebasses pour surnager en cas de naufrage.

Mais un groupe s’enlève avec un relief incomparable : celui de la dynastie Arnauld. Qui donc a dit que le Jansénisme n’était que le démêlé personnel de la famille Arnauld et de la Compagnie de Jésus ? Abbesses, religieuses, prêtres ou solitaires, ils furent, à Port-Royal, quinze ou seize du même sang ; on y voit se rejoindre trois ou quatre générations : ils forment bloc. Soude race de roche auvergnate, tous avocats, soldats, — l’aïeul, au XVIe siècle, cumulait les deux rôles ; et c’est merveille de voir se perpétuer ou alterner, à travers les individus, le double trait du grand ancêtre, parlementaire et combatif. Comme document de zoologie morale, et comme étude de permanence ou de variation du caractère dans l’espèce, peu de cas se présentent dans des conditions plus favorables que cette grande race bourgeoise et historique. La plupart des personnages nous sont connus par les portraits des deux Champagne. En tête, la grande abbesse, la Mère Angélique de Saint-Paul, celle par qui tous les autres vinrent à Port-Royal : une figure carrée, les traits un peu hommasses, trônant sur son fauteuil de paille, auquel elle ne s’appuie ni du des ni des bras, ferme, calme, assurée, et faite pour servir d’assise, comme un roc sur lequel on peut fonder sans crainte et qui défiera les orages. C’est elle qui fait comprendre le mot de Royer-Collard : « C’étaient des gens avec qui on savait sur quoi compter. » Le même type viril se retrouve, avec quelque chose de plus revêche, dans son aînée Mme Le Maître ; avec quelque chose de plus fondu, de plus aimable et de plus gras, dans sa cadette la Mère Agnès. La figure la plus féminine de cette race héroïque, la seule, semble-t-il, qui ait eu ce qu’on peut appeler de la grâce, c’est l’humble, docte et prudent Le Maître de Saci, avec sa longue tête de chèvre un peu camuse, ses manières d’acolyte, son infini effacement, — celui dont le dernier souffle, en rendant l’âme, fut : « O bienheureux Purgatoire ! » « Victoire ! Victoire ! » s’écriait au contraire sa tante, la sœur Anne-Eugénie, gagnant sa mort comme une bataille, et expirant comme on triomphe.

On ne peut les énumérer tous. Mais il faut dire un mot du plus célèbre, le dernier des vingt enfans de M. Arnauld l’avocat, celui qui concentre et résume toutes les forces de la race, et qui, pendant plus de quarante ans, incarne presque à lui seul la cause du jansénisme : Antoine Arnauld, le grand Arnauld. Pour celui-là, — quand on