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de nos Romantiques, chez le pauvre Gérard de Nerval ; mais les feux follets n’en sont peut-être que les lueurs vacillantes d’une raison qui s’éteint.

Le Suédois demande à ses romanciers de lui conter des contes plus étranges ou plus divertissans que ceux qu’il se conte à lui-même pendant la monotonie de ses hivers et l’insomnie de ses étés. Il n’exige ni rapidité, ni sobriété, ni aucune de ces qualités que réclament les gens pressés par la vie ou les gens qui ont hâte d’avoir lu pour discuter sur ce qu’ils viennent de lire. Dans son existence si pauvre d’événemens, il n’a besoin ni des simplifications de la logique, ni de ses rigoureuses vraisemblances. Il adore l’inattendu, la sensation vive, le mystère, le surnaturel qui flotte sur la nature comme les elfes du brouillard, les aventures dans des forêts que personne n’a foulées, la poésie des égaremens à travers les marécages au bout desquels on retrouve enfin le bon chemin du foyer. Mais, peu « soucieux de vérité générale, il tient beaucoup aux vérités particulières. Il admet les rêveries les plus folles, pourvu qu’elles lui apportent dans les plis de leurs voiles l’odeur de sa terre et qu’elles en laissent tomber des souvenirs précis de sa vie quotidienne.

Sous le chaume de Löfdala, le grand violoniste Lilliécrona, dont l’humeur nomade et fantasque a fait naguère le désespoir de sa femme et de ses enfans, est revenu parmi les siens[1]. Au dehors, les rafales soulèvent des colonnes de neige qu’elles entraînent au milieu des champs dans une ronde vertigineuse. Mais lui, assis au coin du feu sur un escabeau tout luisant d’usure, tour à tour conteur et musicien, devant sa maisonnée attentive et ravie, il court les aventures et galope à travers le monde jusqu’aux étoiles. « Et toute la vie devenait haute, belle et riche, au rayonnement de cette seule âme. » Il semble qu’en écrivant ces mots Selma Lagerlöf ait elle-même défini son influence de bienfaitrice. Elle a enrichi, embelli, exhaussé la vie intérieure de sa grande maisonnée nationale. Mais, sur le vieil escabeau des sagas, tenez pour certain qu’elle jouit encore plus du plaisir qu’elle se donne que de celui qu’elle épanche autour d’elle. Dépositaire par un décret providentiel de la fantaisie suédoise, elle en vit d’abord, et tout son art en est imprégné ; puis, comme elle est moraliste, elle en a compris au point de vue

  1. L’Hôte de Noël dans le Recueil des Liens invisibles.