Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 54.djvu/772

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

littéraire la Légende de saint Julien l’Hospitalier ; mais ils ne trahissent jamais le laborieux effort qui consiste à suppléer aux intuitions de la rêverie par les déductions de l’intelligence. Ses nouvelles modernes en reçoivent une grâce poétique, un peu lointaine, comme si nous reconnaissions tout à coup nos contemporains transformés en personnages de vitraux. C’est bien à des vitraux que me fait songer l’œuvre de Selma Lagerlöf. Que le ciel de Suède me paraît charmant en se teignant de leurs couleurs : ciel d’hiver où elles allument des reflets d’aurore boréale ; ciel de sous-bois qu’elles illuminent, d’apparitions fantastiques ; ciel d’été dont elles concentrent les lueurs irréelles sur de réelles figures !

Mais l’éclairage du Midi ne leur convient pas. La fantaisie de Selma Lagerlöf perd à voyager, sauf peut-être quand elle retrouve aux carrefours de Jérusalem la trace des paysans suédois. Je n’aime ni les Miracles de l’Antéchrist, où elle s’est flattée de peindre la Sicile et les Siciliens, ni ce qu’elle a rapporté de l’Italie. Si j’en avais le loisir, cette partie de son œuvre m’offrirait cependant un curieux sujet d’étude ; car j’essaierais d’y préciser ce qui, dans l’esprit méridional, reste fermé aux esprits du Nord, et d’y montrer combien toutes les documentations, et même la connaissance intellectuelle d’un pays, sont insuffisantes quand on veut en tirer un roman, c’est-à-dire une œuvre vivante qui, en sa qualité d’œuvre vivante, doit plonger dans l’instinct. Selma Lagerlöf, malgré sa bienveillance, n’a guère compris que la gesticulation et l’exubérance de paroles des Méridionaux ; et elle n’en a guère fait que des fantoches. Si elle a su, dans une page des Miracles assez puissante dresser le personnage du Pape, probablement de Léon XIII, elle a faussé dans une de ses Nouvelles celui de sainte Catherine de Sienne[1].

Etrange contresens ! Les hagiographes et la correspondance de la Sainte lui fournissaient sa matière. Un jeune homme de Pérouse, accusé d’avoir mal parlé du gouvernement de Sienne, est condamné à mort ; et, dans la prison, où son désespoir use ses griffes sur des pierres insensibles et sur des gens plus insensibles que les pierres, il demande qu’on lui amène la jeune fille dont la réputation de sainteté remplit déjà toute la ville. Elle vient, l’apaise, obtient de lui qu’il se confesse et communie, lui

  1. Sainte Catherine de Sienne (Reines de Kungahalla).