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autochtones survivait à l’occupation romaine. Ces colons latinisèrent les plaines et les vallées labourables, et ce sont leurs descendans qui, sous le nom de Valaques, habitent encore sur les flancs du Pinde et parlent une langue d’origine latine très voisine de celle des Roumains. Mais, au plus épais des forêts albanaises et sur les inaccessibles plateaux, les coutumes anciennes se transmettaient, et quand, après la longue paix romaine, la guerre et l’anarchie reparurent dans la péninsule, l’Albanais se retrouva tel qu’il était jadis, avec son organisation sociale particulière, ses coutumes déjà séculaires et son tempérament héréditaire.

Le flot des Slaves, au moyen âge, vient battre le pied des monts albanais, les entoure, les pénètre en quelques endroits, mais finalement s’arrête sans les avoir submergés. Au jour de Kossovo, les Albanais sont avec le sultan Mourad et l’aident à écraser leurs ennemis serbes. Mais quand le Turc prétend, à leur tour, les soumettre à sa loi, il les trouve unis, pour lui résister, sous la bannière vingt fois victorieuse de Georges Castriot que les Turcs appellent Scanderbeg, le bey Alexandre. Dans les plus humbles chaumières d’Albanie, le nom du héros « soldat de Jésus-Christ, prince des Albanais et des Épirotes, » en qui s’incarne l’esprit de résistance nationale à l’oppression étrangère, est vénéré ; ses exploits sont le thème d’innombrables rhapsodies que les aèdes populaires chantent aux jours de fête, dans la montagne, au tour du foyer. Scanderbeg mort, les Turcs, maîtres des villes, des marchés et des plaines, obtiennent enfin la soumission de l’Albanie, mais ils ne la réduisent pas à merci ; elle accepte des suzerains, non pas des maîtres. Pour échapper au joug, un flot d’émigrans albanais se dirige, à cette époque, vers l’Italie méridionale et la Sicile où, encore aujourd’hui, leurs descendans se reconnaissent entre eux et n’oublient pas leur origine ; plusieurs des hommes qui ont marqué dans l’histoire de l’Italie contemporaine, — tel Francesco Crispi, — sont les petits-fils de ces émigrés. Ceux qui restent, les Sultans ont la sagesse de ne pas les pousser à bout ; ils se contentent d’une soumission nominale, et pourvu que l’Albanais ne soit pas trop turbulent et fournisse des auxiliaires volontaires à leurs armées, ils ne cherchent pas à l’assimiler. Ils obtiennent pourtant de lui l’acte essentiel qui l’incorpore à la vie de l’Empire : la majorité des Albanais devient musulmane.