Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 54.djvu/821

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

élus, quoique, notoirement, les catholiques fussent en grande majorité ; mais le Comité refusa d’accepter comme candidats les drogmans des consulats d’Autriche et d’Italie et déclara qu’il n’admettrait que des candidats sans attaches avec l’étranger. Un vif mécontentement s’ensuivit parmi les catholiques. A la fin de décembre, des délégués du Comité U. et P. vinrent à Scutari faire une conférence sur la Constitution ; l’un d’eux, un hodja, nommé Veledan effendi, parlant dans la grande salle de la Médersé, déclara que l’Etat doit être neutre en matière religieuse et professer un respect égal pour l’Évangile et pour le Coran : il fut hué, houspillé par les musulmans comme par les catholiques.

En janvier, un nouveau vali, Bedri Pacha, fit son entrée à Scutari ; conciliant dans les formes, mais très résolu à ne pas faire de concessions au particularisme et à l’anarchie, il s’attacha à maintenir l’ordre dans la rue et veilla strictement à l’interdiction de porter des armes dans la ville ; malheureusement son programme excellent, — relèvement moral et économique par des écoles et des routes, — est, faute d’argent, resté jusqu’ici à peu près lettre morte. Au moment de la tentative contre-révolutionnaire du 13 avril 1909, les hodjas excitèrent le peuple contre les Jeunes-Turcs, mais les montagnards restèrent immobiles, indifférens à tout ce qui ne touche pas directement leurs privilèges et leurs coutumes. Mais la déposition du Sultan et surtout l’exécution d’Albanais compromis dans l’affaire d’avril, comme Halil-bey, de Kraina, souleva une indignation très vive dans tout le pays et particulièrement à Scutari, citadelle du fanatisme musulman. L’effervescence grandit encore quand, au milieu de juin, Bedri Pacha convoqua les chefs de quartiers et annonça qu’il allait être procédé au recensement. Les catholiques restèrent muets, mais les musulmans déclarèrent que leurs coreligionnaires n’accepteraient jamais une mesure où ils voyaient le prélude du service militaire obligatoire et des impôts nouveaux, c’est-à-dire la fin de leurs privilèges. Le vali les exhorta à obéir d’abord à la loi et ajouta que, s’ils donnaient cet exemple, des tempéramens pourraient être apportés dans l’application. Parmi les musulmans, deux tendances se manifestèrent : les uns, intimidés par les expéditions de Djavid Pacha, inclinaient à la soumission ; mais d’autres, fanatisés par les hodjas, criaient qu’ils recevraient à coups de fusil les agens