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macédoniennes furent invitées à s’y faire représenter. Dans le vilayet de Kossovo, les Serbes de tous les cazas envoyèrent des délégués ; les Bulgares, excepté ceux de Köprilu et de Kotchana, s’abstinrent. Le Comité députa Niazi bey, le héros de Resna, avec quelques officiers. La musique de l’école des arts et métiers d’Uskub fit le voyage, donnant par sa présence à la réunion une consécration presque officielle. Un programme, préparé par les soins du Comité, fut d’abord adopté, mais ensuite l’assemblée élabora des articles complémentaires qui constituaient un acheminement vers une autonomie, sinon catégoriquement demandée, du moins virtuellement établie ; elle demandait : dans les nominations de fonctionnaires, la préférence pour les candidats indigènes, le droit pour chacune des confessions d’avoir des écoles nationales et de célébrer les offices religieux dans la langue nationale, la création d’écoles dans lesquelles l’instruction serait donnée en albanais, la construction de voies ferrées et de routes, la convocation annuelle, dans une ville macédonienne désignée par le sort, d’une session du Congrès ottoman albanais d’Union et de Constitution.

Des multiples faits que nous venons de citer, une impression générale se dégage. Albanais et Jeunes-Turcs n’ont pas compris de la même manière la révolution à laquelle les uns et les autres ont participé ; entre eux l’accord n’a vraiment existé que sur un seul article : dehors les étrangers ! Sur tous les autres points l’antinomie est profonde, radicale, et, à mesure que se développent les conséquences de la révolution, elle va s’accentuant. Un peuple de pasteurs et de chasseurs, vivant dans ses montagnes, sous un régime patriarcal et féodal, sans instruction, sans littérature, sans routes, ne peut être transformé en quelques jours, par la magie des mots et la vertu d’une constitution, en une démocratie égalitaire et parlementaire. « Beaucoup ébranlent les montagnes par un seul mot, » dit un proverbe tosque ; encore faut-il que ce mot retentisse dans les cœurs, qu’il soit intelligible à ceux qui l’entendent. « Constitution, obéissance à la loi » n’ont pas de sens pour la masse albanaise attachée à ses coutumes, à ses chefs, à ses prêtres, à sa conception séculaire de l’honneur et du droit. Les abstractions jacobines, le philosophisme sentimental et l’égalitarisme naïf dont se leurre l’imagination des Jeunes-Turcs, sont inadaptables à des cerveaux albanais. Les Jeunes-Turcs vivifient ces vieilles défroques