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« partager la moisson d’un grain qu’ils n’ont pas semé. » Plus spécialement préoccupés des intérêts religieux, les Jésuites prennent leur mot d’ordre à Rome ; les Franciscains le reçoivent de Vienne. Dans les écoles franciscaines, on n’enseigne que l’albanais, dans celles des Jésuites, même dans celles que subventionne l’Autriche, on apprend l’italien, mais non l’allemand. En juin 1908 paraissait, dans un journal albanais publié à Raguse sous les auspices du consulat autrichien de Scutari une diatribe contre le clergé albanais et surtout contre les Jésuites que l’on accusait de favoriser la propagande italienne aux dépens de l’Autriche. Les agens autrichiens les trouvent, en effet, moins dociles à leurs inspirations que les Franciscains. Ceux-ci exaltent le patriotisme albanais pour l’opposer à la poussée slave ; un poète franciscain, le Père Georges Fishta, « le Tyrtée albanais, » a chanté, dans des poèmes qui sont édités en Autriche, les grandes luttes des Guègues contre les Monténégrins ; on a remarqué que sa muse a été particulièrement inspirée l’année dernière, au moment où l’Autriche annexait la Bosnie. L’Autriche exerce, en Albanie, le « protectorat » catholique ; elle en fait un instrument de sa politique, et ses consuls persécutent les prêtres et les évêques suspects d’italianiser. Dernièrement, l’archevêque albanais d’Uskub, résidant à Prizren, Mgr Troksi, a dû donner sa démission à la suite d’une campagne menée contre lui à Rome par les Autrichiens ; il a été remplacé par Mgr Miédia, coadjuteur de l’archevêque de Scutari.

Par le canal du clergé, l’or autrichien se répand sur la pauvre Albanie ; dans un pays où une pièce d’or est une fortune, les libéralités autrichiennes ont fait beaucoup de riches. Chez les musulmans, là où ne pénètre pas le clergé catholique, l’Autriche envoie des savans. Un géographe hongrois, le baron Nopéa, a visité en détail toute l’Albanie du Nord, s’arrangeant pour perdre en route les gendarmes chargés de l’escorten et laissant derrière lui, pour les moindres services, des pourboires princiers. M. Kral, tout récemment encore consul général d’Autriche à Scutari, avait lui-même un goût prononcé pour la géologie ; il allait souvent, sans escorte, parcourir les villages de la montagne, surtout dans la direction des frontières monténégrines. D’ailleurs, ni les agens autrichiens ne se cachent de distribuer de l’argent, même aux plus hauts personnages albanais, ni ceux-ci d’en recevoir : l’Albanie est si pauvre !