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doute un « ensemble de personnes qui ont entre elles une certaine conformité d’intérêts, de mœurs et d’habitudes, » mais on ne laissera pas d’y voir aussi la trace d’une « inégalité des conditions, » et l’on y découvrira même le souvenir, — heureux si ce n’était qu’un souvenir et si le progrès avait consisté en autre chose qu’à retourner l’abus au bénéfice du plus grand nombre, — des « catégories de citoyens. »

Jusqu’à la fin du XVIIe siècle, la « classe » ne cessa pas de se prendre littérairement au premier sens, celui du XIVe siècle et de Servius Tullius, « catégorie de citoyens, » ordre politique et civil. Bien qu’il y eût assurément « inégalité de conditions, » et que les ouvriers, de quelque nom qu’on les nommât, formassent dès lors « un ensemble de personnes ayant entre elles une certaine conformité d’intérêts, de mœurs et d’habitudes, » cependant il serait prématuré, avant le milieu du XVIIIe siècle au plus tôt, de parler d’une « classe ouvrière » au deuxième et au troisième temps de la vie du mot classe. Auparavant, il n’y avait pas de « classes ; » il y avait eu des castes, il y avait des ordres, il y avait des états. Tant que l’ouvrier, — sergent, valet, compagnon ou apprenti, — a vécu chez le maître, « l’inégalité des conditions » a été moins sensible, moins choquante : ni philosophes, ni publicistes ne la dénonçaient, ou leurs phrases tombaient dans le vide et se perdaient sans écho. Sous l’ancien régime du travail, quand on ne connaissait guère, sauf de rares exceptions qui, selon l’usage, confirmaient la règle, que des industries dispersées, lorsque le type général était l’atelier de famille, « la conformité d’intérêts, de mœurs et d’habitudes » entre les ouvriers n’apparaissait pas très clairement. Il a fallu l’avènement du nouveau régime, de la grande industrie concentrée, l’usine à eau, la machine à vapeur, pour que les ouvriers pussent se séparer des patrons dans le travail et après le travail, se replier, sinon se refermer, sur eux-mêmes, et composer ainsi à eux seuls et deux seuls une classe, la classe ouvrière, qui se posât comme une classe en s’opposant à une autre classe, la classe patronale.

Classe ouvrière et classe patronale ne sont pas, — on est trop porté à le croire, — des survivances d’un très vieux passé. Leur formation est, je le répète, un phénomène social relativement récent, qui n’eût pas pu se produire si, de certaines inventions mécaniques, il ne se fût pas ensuivi tout un ensemble de