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de Bourges, quand toutes ses compagnes expulsées furent dehors, une religieuse, Mme de la Saigne Saint-Georges, plus heureuse qu’Énée emportant des ruines de Troie les dieux de la patrie, sortit au milieu des sentinelles respectueuses, le Saint-Sacrement dans ses mains, tenant plus précieux un tel trésor que toutes les richesses du monastère. Au couvent des Clarisses de Marseille, leur pieuse sollicitude au sujet du Saint-Sacrement fut marquée d’un incident. La dernière religieuse qui franchit le seuil recommandait tout en larmes au chef qui dirigeait l’expulsion de faire venir un prêtre pour mettre les hosties en lieu sûr. « Je suis prêtre moi-même, » répondit-il. C’était un chanoine de Saint-Victor qui avait prévariqué.

Les voilà donc, lancées dans le monde et les hasards d’une Révolution terrible, avec la faiblesse de leur sexe, avec le deuil de leur vocation, la blessure faite à leur conscience, avec l’incertitude du lendemain, la perspective de la misère et d’un avenir d’autant plus menaçant que leur caractère même les désigne d’avance aux coups des persécuteurs. « Jamais on ne croira ce que nous avons eu à souffrir pendant la Révolution, » dira plus tard l’une d’elles. Il n’est point d’Ordre qui n’ait fourni des victimes. Dans ces exécutions, le massacre des Carmélites de Compiègne a eu un retentissement tout particulier. Mais combien de religieuses eurent le même héroïsme ! A Rouen, une Visitandine convoquée devant le tribunal révolutionnaire répond pour elle et ses compagnes au juge qui lui demande : « Citoyenne, avez-vous fait des vœux ? — Oui, et si nous ne les avions pas encore prononcés, nous monterions à l’instant sur ces toits pour en rendre témoins et le ciel et la terre. » Les paroles, les faits de ce genre remplissent les chroniques locales.

A côté de cette attitude sublime, il y aurait lieu de signaler, comme une ombre très légère au tableau, la défaillance des rares religieuses qui furent infidèles à leurs devoirs. L’histoire, parfois aussi indiscrète que le roman, pourrait les suivre dans leur naufrage à l’aide des papiers du cardinal Caprara. Il est toujours dangereux d’arracher à leurs habitudes certaines natures, d’ailleurs très droites, qui seraient restées irréprochables à l’ombre du cloître, et d’exposer à tous les vents du siècle des fleurs habituées à vivre en serre chaude. Les lettres adressées à Caprara, véritables confessions où la contrition répare déjà la faute, racontent le naufrage de plusieurs existences que la vague