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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 54.djvu/944

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historiens de la vie intense des temps les plus glorieux de la République, où les Vivarini, les Jean Bellini écrivent l’histoire avec le pinceau au Palais des Doges, représentant les batailles, les victoires, les solennités des fêtes, les guerriers qui marchaient aux côtés des magistrats et des dignitaires. La vie artistique de Vittore Carpaccio, — ont écrit MM. Pompeo Molmenti et C. Ludwig, les érudits et pénétrans critiques d’art qui ont publié sur le peintre de la légende de Sainte Ursule, l’étude à la fois la plus complète et la plus exacte, — est comprise entre 1490 et 1520. Le talent de l’artiste apparaît dans tout son éclat dans les dix premières années du Cinquecento. Dans la dernière partie de sa vie, il travailla pour Trévise, Capodistria, Pozzale, Chioggia, où l’on n’avait pu encore connaître et apprécier le faire large et hardi de Giorgione et de Titien, accueilli déjà avec tant de faveur par la Capitale. Au XVIe siècle, le nom de Carpaccio semble être tombé dans l’oubli, et, dans les siècles qui suivirent, on ne fut pas plus juste pour lui. Aujourd’hui, on a compris la grandeur de l’artiste qui s’élève entre les deux périodes glorieuses de la Renaissance vénitienne et on apprécie à sa valeur ce doux peintre si séduisant, sa richesse merveilleuse d’imagination pittoresque, dans ses tableaux aux vibrantes couleurs, aux costumes étranges, qui reflètent l’image même de la cité merveilleuse et mystérieuse, — de la Sérénissime qui inspire l’effroi avec l’enchantement, — et, comme un astre au déclin, semble plus grand et jette un éclat plus glorieux avant de s’abîmer dans la mer d’azur « au sourire sans nombre. »

Ainsi que la Venise de Carpaccio, miroir de ce que fut la ville des Doges, alors à l’apogée de la beauté, que tout concordait à rendre parfaite, — où le mouvement des peuples, la diversité et l’éclat des costumes étaient en harmonie avec le coloris de la pierre et de l’eau, et dont plus d’une merveille aujourd’hui disparue ne se retrouve que sur la toile, — c’est aussi l’Egypte ancienne et telle qu’elle était encore, il y a cinquante ans, dans toute sa splendeur arabe et musulmane, que l’on trouvera évoquée dans cette nouvelle édition du bel ouvrage de M. Arthur Rhoné ; l’Égypte à petites journées[1], complété à la suite de plusieurs voyages accomplis en des temps où la terre des Pharaons offrait encore des aspects intacts et déroulait en paix son histoire à travers ses sites, ses monumens et ses ruines. Hélas ! il en est de l’Egypte comme de tant d’autres pays, et l’on entend encore l’éloquent appel et la plainte amère de Pierre Loti sur la Mort de Philæ[2] !

  1. Société générale d’éditions et Henri Jouve.
  2. Calmann-Lévy.