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cinquante-cinq d’entre eux se sont ralliés au projet de Mgr Turinaz. Mgr Fuzet, archevêque de Rouen, a été particulièrement explicite. Ce prélat ne plaît pas à tout le monde ; on ne saurait toutefois lui refuser une intelligence politique déliée et un sens des réalités très exercé. Il a envoyé à Mgr Turinaz son adhésion la plus complète, en affirmant qu’une tactique différente de celle qu’il conseillait ferait pénétrer le clergé dans l’arène des partis, et serait une « tentative désastreuse pour la religion : » elle aboutirait inévitablement, dit-il, à un « seize-mai religieux. » On ne saurait rien dire de plus fort, ni sans doute de plus juste. Les préventions anticléricales sont encore trop ardentes dans ce pays pour qu’on puisse les y aborder de front. Si le temps peut arranger bien des choses, c’est à la condition qu’on lui laisse faire son œuvre d’apaisement. La constitution d’un parti catholique, qui se jetterait hardiment dans la mêlée électorale, aviverait les passions au lieu de les calmer.

Il convient aussi que les catholiques sachent se limiter, se borner, et qu’ils ne demandent pas aux candidats libéraux pour lesquels ils seraient disposés à voter, de prendre des engagemens dont la réalisation, à supposer qu’elle soit jamais possible, ne le serait qu’à très longue échéance. A chaque jour, à chaque législature suffit sa peine. Les catholiques sont aujourd’hui irrités et blessés de toutes les épreuves qu’on leur a infligées ; ils sortent d’une lutte inégale tout frémissans d’indignation ; on comprend que leur premier mouvement soit pour demander d’un seul coup toutes les réparations auxquelles ils estiment avoir droit. Mais d’aussi brusques changemens à vue sont rares dans l’histoire politique, et il est invraisemblable que les élections prochaines en amènent un. Il faudra se tenir pour très heureux si la situation actuelle est améliorée, ou même si elle est seulement détendue, Pour cela, les catholiques n’ont qu’un bien à revendiquer, un bien qui leur est strictement dû, la liberté de conscience sous toutes ses formes, dont une des principales est la liberté d’enseignement. Cette dernière liberté est menacée aujourd’hui. Si le parti radical et radical-socialiste n’était pas retenu par des difficultés matérielles, c’est-à-dire financières, elle serait probablement supprimée : en tout cas, elle aurait à soutenir un terrible assaut. Qui sait si cet assaut n’aura pas lieu dans la Chambre prochaine, ou si, à défaut d’une attaque directe, la liberté d’enseignement ne sera pas l’objet de travaux de siège, de travaux d’approche, destinés à faciliter plus tard l’enlèvement de la position ? Là est le vrai péril. Personne ne songe à porter atteinte à l’exercice du culte. M. le Président du Conseil