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historique, mais ne jamais y commander ; ils ne sont utiles qu’à ce prix, laissons-les éclairer ce qu’ils expliquent, mais prenons garde qu’ils ne nous cachent ce qu’ils sont impuissans à expliquer. En présentant le Culturkampf, exclusivement, comme une conséquence fatale de Sadowa et de Sedan, l’on risquerait d’en simplifier à l’excès le récit, d’en estomper les nuances infinies, et de substituer à la complexité de la vie, au fouillis des répercussions humaines, les lignes ternes et pâles d’un beau dessin schématique, probablement plus clair, mais assurément moins vrai.

Ne craignons pas de le dire : les origines du Culturkampf s’embrouillent davantage, à mesure que le regard est plus patient à les scruter ; elles sont embrouillées par la multiplicité des circonstances, elles sont embrouillées par la variété, par la contradiction même, qu’on observe entre les propos successifs, entre les attitudes successives, de Bismarck. Un certain parti pris de limpidité, qui dissimulerait les complications trop malaisées à dénouer, trahirait l’histoire. Voici des textes, par exemple, avec lesquels on pourrait prouver que le Culturkampf châtia la proclamation de l’infaillibilité et qu’il fut l’effet naturel du concile du Vatican. On les trouve, en 1872 et 1873, sous la plume de Bismarck et sur les lèvres du maréchal Boon, président du Ministère qui présenta les lois de Mai. Mais d’autres paroles s’insurgent, de 1870, de 1871, de 1887, toutes de Bismarck, attestant non moins expressément que l’infaillibilité lui importait peu. Si, par ailleurs, il nous plaisait de soutenir que le Culturkampf fut plutôt, en son essence, une réaction inévitable contre les libertés que l’année 1850 avait apportées aux catholiques, nous aurions sous la main, pour l’établir, tout un discours de Falk, le ministre même qui fit voter les lois de Mai, et de nombreux passages de Bismarck ; mais le même Bismarck, en 1887, proclama publiquement que ces libertés n’avaient été gênantes pour personne. A quinze mois de distance, à la fin de 1884, d’abord, puis au début de 1886, Bismarck porta deux jugemens, exactement contradictoires l’un de l’autre, sur l’attitude politique des catholiques durant la période qui précéda le Culturkampf. Dans l’espace de quarante-huit heures, lorsque se déroula, en 1873, la discussion des lois de Mai, on entendit Boon, Falk et Bismarck, exposer, chacun à sa façon, les raisons de leur commune politique religieuse, et apporter tous trois des motifs différens. Un récit du Culturkampf qui voudrait être une thèse ferait choix