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surprend y surviennent, à l’heure opportune, pour les besoins du moment ; elles marquent des étapes, elles accusent une évolution, elles voilent et consacrent des changemens de tactique ; elles ne sont, en aucune façon, la révélation progressive de ce qui existait en 1871 dans l’esprit de Bismarck. On se tromperait en voyant dans le Culturkampf le froid et sûr développement d’une antique pensée bismarckienne et en considérant le chancelier comme une sorte de démiurge écartant triomphalement les voiles derrière lesquels il aurait caressé, dans un long mystère, l’idéal d’une Allemagne religieuse nouvelle. Mais gardons-nous, inversement, de prendre à la lettre ce que disait Bismarck en 1875 au prince de Hohenlohe, ce qu’il redit dans ses Souvenirs, et de conclure avec lui que, sans le péril polonais et sans la formation du Centre, l’Eglise romaine n’aurait pas été menacée.

Car Bismarck qui, durant les diverses phases du Culturkampf, eut presque toujours l’attitude et l’allure d’un instigateur, ne fit souvent qu’appliquer et réaliser certaines théories philosophiques professées par les fractions parlementaires dont il avait besoin ; et lorsqu’il rattache à de « petits commencemens politiques » l’éclosion du conflit, il oublie, volontairement peut-être, les formidables courans d’idées antireligieuses auxquels les nationaux-libéraux voulaient asservir l’Etat. Le Culturkampf aurait été, de par sa définition même, le triomphe de ces courans ; ils comptaient sur Bismarck, pour vaincre ; ils ne refluèrent que parce que, cette fois-là, Bismarck fut vaincu.

Dans l’armée du Culturkampf, il y a un homme et une majorité, dont l’action se coalise et produit une persécution. Mais l’homme sévit sur le tard, et prétend ne sévir qu’au nom de l’expérience ; l’acharnement de la majorité était un acharnement de vieille date et s’inspirait de théories a priori, qui déjà s’étalaient avant 1870 dans l’enceinte du Parlement. L’esprit de persécution, chez ces deux alliés, chez le ministre et chez les députés, n’a point la même date, ni les mêmes assises, ni les mêmes impatiences, ni les mêmes élans.

Beaucoup de nationaux-libéraux ne concevaient pas d’autre solution possible au Culturkampf que l’écrasement mortel de l’ennemi ; Bismarck, au contraire, n’écarta jamais comme impossible l’idée d’une paix avec l’ennemi. Mais pour que tout d’abord l’impérieux fanatisme « libéral » parvînt à déchaîner la lutte religieuse, il fallait une série de gestes de Bismarck ; et ce fut