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antagonisme entre les penchans de l’opinion catholique et les directions de l’Etat prussien.

Mais dans ses impatiences mêmes, il y avait alors un calcul ; d’un même geste, il les déchaînait et les retenait. De 1861 à 1867, il regardait se dérouler, au loin, les querelles entre l’État badois et l’Eglise ; il les trouvait sans doute intéressantes, comme la répétition générale d’un drame plus important, qui peut-être, un jour ou l’autre, devrait être joué sur la Sprée. Mais lorsqu’en 1868 et 1869 certains députés à Berlin brûlaient d’ennuyer les moines, Bismarck renvoyait dans la coulisse ces acteurs trop pressés ; et lorsqu’en 1869 le prince de Hohenlohe s’évertuait à soulever les puissances contre le projet de définition conciliaire, Bismarck décidait que la Prusse resterait tranquille. Car les doctrines philosophiques pour lesquelles s’exaltaient ces politiciens prussiens, les opinions théologiques dont ce ministre bavarois s’improvisait l’auxiliaire, tout cela n’apparaissait pas à Bismarck comme étant, en soi, digne d’être servi ; Bismarck servait l’État et regardait l’Etat. Or l’État prussien de 1869, l’État qui aspirait à devenir l’Empire, avait besoin, pour cette besogne même, — ce furent les propres termes de Bismarck au Conseil des ministres., — que la confiance des catholiques dans la liberté et la sécurité de leur culte ne fût pas ébranlée : guerre à la France et paix aux cloîtres, tel était le programme. Quant à l’infaillibilité, elle risquait de susciter quelques difficultés entre l’Église et le pouvoir civil ; et certes, Bismarck aurait trouvé excellent que l’on pût les conjurer ; car à quoi bon troubler le repos des sujets ? Mais, quoi qu’il advînt, son roi serait armé pour lutter, si des luttes devenaient nécessaires.

Ainsi sa mauvaise humeur contre l’Eglise, incoercible à certaines heures, tombait subitement en sommeil, à l’instant même où s’offrait à lui le concours de la Gauche ou celui de la Bavière. Hohenlohe à Munich, Arnim à Rome, s’étonnaient et s’agaçaient ; on ne comprenait plus ; mais Bismarck tenait-il à être compris ? Que même Clovis de Hohenlohe, halluciné par la crainte des Jésuites, le soupçonnât quelquefois d’être leur homme : le rire de Bismarck en devait prendre aisément son parti. Le souci de faire l’Allemagne pesait sur lui : quoi qu’il pensât des périls auxquels l’Eglise exposait l’Etat, un intérêt plus immédiat lui paraissait exiger que provisoirement l’Etat fermât les yeux.