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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/175

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tous du côté de Bussy, M. Gérard-Gailly les met tous, ou à très peu près, du côté de Mme de Sévigné. Tâchons, nous, d’être aussi impartial que possible.

Ils étaient cousins. Bussy, de huit ans plus âgé qu’elle, songea un peu à l’épouser et certainement elle fut très fort de son goût, quoiqu’un peu trop vive en gaîté et, à cet égard, rêvée plutôt comme femme d’un autre avec qui l’on serait très bien. C’est précisément ce qui arriva. Elle épousa Sévigné. Bussy plut extrêmement à Sévigné et, nous y voilà bien, songea tout de suite à quitter « le bon motif » pour le meilleur. Il y avait quelques facilités à cela. Sévigné était coureur. Il s’éprit de Ninon, ce qui, du reste, n’était pas original, de cette Ninon dont, vingt ans plus tard, son fils devait se férir lui-même. Il eut les faveurs de cette dame. Il s’en félicita devant Bussy. Bussy n’eut rien de plus urgent que de rapporter cela à sa cousine, comptant, du dépit de celle-ci, tirer pied ou aile. Ce n’est pas moi qui raconte cela, c’est lui-même, avec une charmante ingénuité : « Je ne l’eus pas quitté que j’allai tout conter à Mme de Chêneville [Sévigné]… : « Je crois que vous êtes fou, dit-elle, de me donner cet avis ou que vous croyez que je suis folle. — Vous le seriez bien plus, madame, si vous ne lui rendiez pas la pareille. Vengez-vous, ma belle cousine, et je serai de moitié dans la vengeance ; car enfin vos intérêts me sont aussi chers que les miens propres. — Tout beau, monsieur le comte, je ne suis pas si fâchée que vous le pensez. »

Mme de Sévigné fit à son mari une allusion à ses amours avec Ninon. Sévigné reprocha à Bussy de l’avoir trahi auprès de sa femme. Bussy rompit les chiens assez adroitement et tout de suite, poussant sa pointe, écrivit à sa cousine : «… Votre imprudence… Vous avez dit à votre mari ce que je vous avais dit… Mais vous savez que la jalousie a quelquefois plus de vertu pour retenir un cœur que les charmes et que le mérite ; je vous conseille d’en donner à votre mari et pour cela, je m’offre à vous. Si vous le faites revenir par-là, je vous aime assez… pour me sacrifier pour vous rendre heureuse ; et s’il faut qu’il vous échappe, aimez-moi, ma cousine, et je vous aiderai à vous venger de lui en vous aimant toute ma vie. »

La lettre fut interceptée par Sévigné. Chose singulière, il n’y eut pas de duel. Sévigné devait être tué par un autre. Mais la maison de Sévigné fut consignée à Bussy.