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En 1664, après un séjour de Mme de Sévigné à Bussy et alors qu’elle était au mieux avec son cousin, on l’avertit que son portrait satirique, tracé par ce cousin si cher, court le monde. Elle n’en veut rien croire. Elle rit. On le lui répète. Elle rit encore. On offre de lui prouver la chose ; elle rit de plus belle. Enfin on la lui met sous les yeux. Elle lit ce qui suit, entre autres choses : «… Si on a de l’esprit et particulièrement de cette sorte d’esprit qui est enjoué, on n’a qu’à la voir ; on ne perd rien avec elle ; elle vous entend ; elle entre juste dans tout ce que vous dites ; elle vous devine ; et vous mène d’ordinaire bien plus loin que vous ne pensiez aller ; quelquefois aussi on lui fait voir bien du pays ; la chaleur de la plaisanterie l’emporte, et, en cet état, elle reçoit avec joie tout ce qu’on veut lui dire de libre, pourvu qu’il soit enveloppé ; elle y répond même avec usure et croit qu’il irait du sien si elle n’allait pas au-delà de ce qu’on lui a dit. Avec tant de feu, il n’est pas étrange que le discernement soit médiocre ; ces deux choses étant d’ordinaire incompatibles, la nature ne peut faire de miracles en sa faveur. Un sot éveillé l’emportera toujours auprès d’elle sur un homme sérieux… La plus grande marque d’esprit qu’on peut lui donner, c’est d’avoir de l’admiration pour elle ; elle aime l’encens ; elle aime d’être aimée et, pour cela, elle sème, afin de recueillir ; elle donne de la louange pour en recevoir. Elle aime généralement tous les hommes ; quelque âge, quelque naissance et quelque mérite qu’ils aient et de quelque profession qu’ils soient ; tout lui est bon, depuis le manteau royal jusqu’à la soutane, depuis le sceptre jusqu’à l’écritoire. Entre les hommes elle aime mieux un amant qu’un ami et, parmi les amans, les gais que les tristes ; les mélancoliques flattent sa vanité et les éveillés son inclination ; elle se divertit avec ceux-ci et se flatte de l’opinion qu’elle a bien du mérite d’avoir pu causer de la langueur à ceux-là. Elle est d’un tempérament froid, au moins si l’on en croit feu son mari : aussi lui avait-il [à ce tempérament] l’obligation de sa vertu, comme il disait ; toute sa chaleur est à l’esprit. A la vérité, elle récompense bien la froideur de son tempérament. Si l’on s’en rapporte à ses actions, je crois que la foi conjugale n’a point été violée ; si l’on regarde l’intention, c’est autre chose. Pour en parler franchement, je crois que son mari s’est tiré d’affaire devant les hommes ; mais je le tiens pour… devant Dieu. Cette belle, qui veut être à tous les plaisirs, a trouvé un moyen sûr, à ce qu’il lui semble,