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derniers jours de la maladie du prince, lui prodiguant les soins dont elle seule est capable, semblable à Antigone !… » La lettre qu’elle envoie le lendemain à son père permet de se convaincre que l’hommage que l’on rend à son dévouement est mérité :

« Comment pourrai-je vous exprimer, très chérissime, le malheur qui nous accable tous aujourd’hui ? Hélas ! votre pauvre père n’est plus ! Ce matin s’est terminée cette noble et belle carrière ! J’ai recueilli son dernier soupir… et je vous assure qu’il m’a fallu un grand courage pour soutenir une épreuve aussi cruelle. Mais je ne veux pas déchirer votre cœur par ces tristes détails, je respecterai votre douleur. Pour la mienne, elle est extrême. Je ne sais si cette lettre vous parviendra, puisqu’on pouvait espérer de vous savoir en route ; mais, hélas ! pourquoi faut-il que ce soit aussi tard !… Enfin, si vous y êtes, quelle consolation de pouvoir vous embrasser, et d’imaginer que nos soins pourront peut-être adoucir vos justes regrets ! Hélas ! il vous a demandé bien des fois pendant des souffrances qui, heureusement, n’ont pas été de longue durée !… Mais adieu, mes larmes m’empêchent de vous en dire davantage. Je vous embrasse de toute la tendresse de mon âme[1]. »

Au reçu de la douloureuse nouvelle, le Duc de Bourbon procédait enfin à ses préparatifs de départ, afin d’assister aux obsèques de son père. « M. le Duc d’Orléans, mandait-il à un ami, m’avait très honnêtement offert de me remplacer ; mais j’ai regardé comme un devoir de remplir cette triste fonction et de rendre ce dernier hommage à un père que j’avais tant de raisons de chérir. » Quelques jours plus tard, il était à Paris. Il

  1. Au bas de cette lettre est copiée la réponse que fit Louis XVIII à la demande qui lui avait été adressée relativement au lieu de la sépulture : « L’Église de Saint-Denis, dans un caveau particulier, à l’exemple de ce que fit Charles V pour Duguesclin, Charles VII pour Barbazan, et Louis XIV pour Turenne. »
    Il y a lieu de rappeler que dans le testament dont on va lire le préambule, le prince de Condé, craignant de mourir en exil, demandait à être enterré non à Westminster, mais « parmi les Français fidèles à leur Dieu et à leur roi ».
    Les obsèques eurent lieu le 26 mai. Le lendemain, Coltz écrivait à sa Cour :
    « Nous avons assisté, hier, à la cérémonie funèbre du prince de Condé ! Le peuple, qui s’était porté en foule sur le passage du cortège, s’est très bien montré à cette occasion, et il y avait, à ce que le duc de Richelieu nous a assuré aujourd’hui, plus de cinq cents généraux et officiers en non-activité dans l’église de Saint-Denis. L’abbé Frayssinous y a donné une grande preuve de son talent et de sa sagesse, par l’oraison funèbre qu’il a prononcée et qui ne pouvait offrir que de grandes difficultés. Il a touché les cordes les plus délicates avec hardiesse, et cependant avec assez de ménagement, pour ne pas blesser les différens partis.