Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/211

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

David trouvait des dédommage m en s à son exil dans l’accueil des artistes belges et des amateurs d’art. Il devait à son grand talent connu de toute l’Europe une considération exceptionnelle. « La politique, mande un observateur, eût peut-être exigé qu’on exceptât de la loi cet individu qui portera dans tous les pays étrangers l’intérêt attaché à un talent supérieur. Il devait d’abord se retirer en Italie ; mais il a dit qu’il se fixerait pendant deux ans à Bruxelles, ayant trouvé dans cette ville plusieurs de ses élèves. Le roi de Prusse lui a offert un asile dans ses Etats[1]. »

Ainsi, rien à craindre de lui, ni d’aucun des juges de Louis XVI, encore vivans, pas même de Fouché dépossédé de la Légation de Dresde et banni, à son tour, le 6 janvier 1816, après avoir fait bannir ses anciens complices. Il se montrait plus soucieux de rentrer en grâce auprès de Louis XVIII que désireux de contribuer à le renverser. La police ne l’ignorait pas. Elle avait mis la main sur le chiffre dont usait le duc d’Otrante dans sa correspondance avec Paris, volumineux dictionnaire où les souverains, les princes et princesses, les hommes politiques français et étrangers, les pays même étaient désignés sous des noms de convention. Elle lisait ses lettres, celles qui passaient par la poste et celles qu’il expédiait par des voies considérées comme plus sûres. Elle savait que ses correspondans principaux étaient deux anciens professeurs de l’Oratoire, jadis ses collègues et restés ses amis. L’un d’eux, le conseiller Gaillard, avait entrepris de prouver au gouvernement que Fouché n’était pas un ennemi. Pour cela, il ne dédaignait pas de communiquer quelques-unes de ses missives au ministre de la Police et celui-ci pouvait mettre sous les yeux de Louis XVIII des réflexions telles que la suivante : « Ils sont bien plus les ennemis du Roi que les miens ceux qui veulent persuader que des motifs qui n’ont pas empêché le Roi de me faire entrer dans son conseil et dans un ministère de confiance au moment du danger, me font bannir de ma

  1. Le 28 février 1816, le prince de Hardenberg, chancelier prussien, écrit au comte de Goltz, ministre de Prusse à Paris : « Le célèbre peintre David se trouvant dans le nombre des proscrits qui devront quitter la France, le Roi verrait avec plaisir qu’il eût l’idée de chercher un asile dans ses États. Sa Majesté vous charge de le sonder à cet égard, s’il en est encore temps et de lui faire entendre que le Roi, charmé de fixer un artiste aussi illustre et aussi distingué, aimerait qu’il vînt s’établir dans sa capitale, où Sa Majesté est disposée à lui procurer l’existence la plus honorable et tous les secours dont il pourrait avoir besoin. Mandez-moi dans votre prochain rapport quel aura été le résultat de vos démarches. Sa Majesté y tient beaucoup. » (Dossiers du Cabinet noir.)