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mendiant, en Allemagne, « où il fait ruisseler pour les bourgeois des fontaines de vin. » Chevaleresque et pillard, moitié reître et moitié prédicant, ses erreurs prennent un air de désintéressement héroïque, et l’éclat de ses revers idéalise sa fureur d’agir. Il se drape orgueilleusement dans la bigarrure de son histoire. Ses châteaux sont meublés de bahuts allemands ; son cerveau, d’idées étrangères. « Les hautes classes, dira plus tard Almqwist, mangent et dorment en Suède ; mais elles tirent leur respiration de l’Allemagne, de la France, de l’Angleterre, de Rome ou de la Grèce. » Elles en tirent alors quelque chose de moins immatériel, l’argent dont l’étranger paie leurs services. Jamais république ne fut plus vénale ni plus corrompue. Le XIXe siècle se lève sur une Suède d’apparence moribonde. Les lumières artificielles du règne de Gustave III l’ont laissée, en s’éteignant, dans un morne crépuscule où les fards empruntés à la France coulent sur des visages décrépits. Son patriotisme se contente de remâcher les mêmes souvenirs de gloire. Les partis la déchirent. Les soulèvemens de la populace l’ensanglantent. Sa religion n’est qu’un rationalisme imbécile. Aux premières paroles du Psaume : « Toute la terre se couvre d’ombre, » les pasteurs demandent qu’on substitue scientifiquement : « La moitié de la terre. » Enfin ces fiers aristocrates, qui prétendaient jadis donner des rois à la Pologne, reçoivent à leur tour un roi étranger.

Et voici que tout se réorganise. La bourrasque qui a emporté la couche superficielle d’anarchie et d’immoralité met à découvert des forces encore intactes de jeunesse et d’intelligence, des traditions vigoureuses, des courans de mysticisme, une vieille université dont les foudres de Pultava et les révolutions de Stockholm n’ont interrompu les labeurs ni flétri les lauriers. La Suède, battue, diminuée, se replie sur elle-même, et, au lieu de s’endormir au pied de ses anciens trophées, elle s’applique à ressaisir son autonomie intellectuelle, et à reconquérir dans les manifestations de la pensée le rang où l’avaient portée et d’où l’ont précipitée ses aventures belliqueuses. Ses malheurs n’avaient pas plus entamé son vieux fonds d’optimisme que le libertinage et l’esprit irréligieux du XVIIIe siècle n’avaient mordu sur ses paysans. Elle n’accepta point l’idée de la décadence ; et l’espoir d’une revanche militaire, qui la soutint longtemps, ne l’abandonna que lorsqu’elle en eut épuisé toute la vertu. Une très ancienne sagesse politique, que le despotisme des Wasa et les