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représente une opération psychique tellement complexe, qu’on peut déjà, par le seul raisonnement, soupçonner quelles variations et quelles altérations peuvent apporter, au témoignage normal, les multiples conditions objectives et subjectives de sa formation et de sa production.

Parmi ces conditions objectives, on entrevoit tout de suite l’influence que doivent exercer sur les qualités d’un témoignage la nature des faits observés par le témoin, leur durée, leur complexité, leur répétition, leur ancienneté, etc. Parmi les conditions subjectives, dont l’influence est encore bien plus importante, figurent l’âge du témoin, son sexe, son niveau intellectuel, l’ensemble de ses qualités et de ses aptitudes psychiques, l’état de son émotivité au moment de l’observation des faits sur lesquels il témoignera, puis, au moment de la déposition, les facteurs de suggestion, intervenus chez le témoin, aux phases successives de la genèse et de la production de son témoignage, etc.

Ces considérations élémentaires, dont la justesse s’impose d’emblée à tout esprit cultivé, et que l’expérience des magistrats et des médecins légistes a toujours confirmées, étaient, jusqu’à une époque tout à fait récente, restées à l’état vague et imprécis de ces vérités de bon sens, que tout le monde accepte, sans que personne cherche à en établir la démonstration complète par l’analyse soigneuse des élémens psychologiques en présence.

Quelques médecins légistes et aliénistes de la plus, haute autorité, Lasègue, Brouardel, Motet, Legrand du Saulle, avaient néanmoins, en des mémoires classiques dont les premiers en date remontent à plus de trente ans, démontré, avec exemples à l’appui, la fréquence et le danger du faux témoignage et du mensonge chez les enfans, et l’inanité de cet adage populaire qui proclame que la vérité sort de leur bouche. M. Vibert[1] a consigné, récemment, dans un article intéressant, le résultat très instructif de sa longue expérience médico-légale sur les témoignages en justice. Mais ces travaux isolés ne suscitèrent point, dans le monde médical ou juridique, l’émotion qui inspire de toutes parts, sur le même sujet, les recherches, critiques ou confirmatives ; et il faut arriver à ces dix dernières années, pour voir naître et, depuis, grandir rapidement cette

  1. Vibert, Les témoignages en justice. — Annales d’hygiène publique et de médecine légale, janvier 1909.