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retrouvée sur la côte orientale du Groenland, et tous les marins furent d’accord pour estimer que, pour que l’épave ait pu arriver à ce point, il fallait qu’encastrée dans la glace et entraînée à la dérive, elle eût passé à peu près exactement au Pôle même, avec la glace qui la portait. Et la vitesse avait été relativement considérable, plus de deux nœuds et demi par jour.

Cette observation fut le point de départ de l’idée de Nansen. Il imagina de faire construire un navire, le Fram, d’une forme et d’une résistance telles que, pris dans la glace, il ne pût pas être écrasé, mais fût soulevé et porté à la surface de la glace comme dans un berceau. Il l’approvisionna de manière que son équipage pût vivre dix ans. Il le fit monter par un très petit nombre d’hommes, et, partant de Norvège, il s’enfonça vers le Nord-Est avec l’intention de se faire prendre dans la glace comme la Jeannette et de se faire entraîner comme elle, espérant découvrir le Pôle en cours de route.

On voit que l’idée de Nansen excluait l’hypothèse d’une mer paléocrystique et d’une glace permanente au Pôle et y substituait l’idée d’une translation des glaces boréales de l’Est à l’Ouest par rapport au Vieux Continent (ou, ce qui revient au même, de l’Ouest à l’Est par rapport à l’Amérique). Dans cette translation, les glaces formées au Nord du détroit de Behring s’en allaient, en passant par le Pôle, jusqu’au Nord de l’océan Atlantique, en une période moyenne de trois ans.

La banquise, au lieu d’être préhistorique, serait donc, sauf dans quelques coins particuliers, où les glaces se bloquent dans des impasses, de formation récente. Elle se désagrégerait constamment au Nord de l’océan Atlantique, en formant des glaces flottantes qui y dérivent en grande quantité et qui descendans parfois jusque dans les régions habituellement parcourues par les navires allant d’Europe en Amérique.

On sait quelle fut l’issue de l’expédition de Nansen. Pendant la période d’été, il s’avança autant qu’il le put vers le Nord-Est. Le Fram fut pris dans la glace, le 29 septembre 1893, et s’y encastra, heureusement sans avarie, ainsi que cela avait été prévu, puis il dériva vers l’Ouest. Mais, il n’avait pas" atteint le méridien où avait été abandonnée la Jeannette et, soit pour cette raison, soit parce qu’il existerait, au Nord des îles Liakhoff, des terres inconnues formant barrage et refoulant les courans marins, le Fram revint au Nord de l’océan Atlantique où il fut