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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/498

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épouse une Autrichienne, tu ne dois montrer aucune répugnance, car, comme ce n’est ni toi ni moi qui pouvons le décider, c’est qu’apparemment sa politique lui donne ce conseil ; au reste, je te dirai qu’au conseil de ce matin Berthier a voté pour l’Autrichienne… Pour moi, je ne fais qu’écrire toute la journée à toi ou à mes enfans, je ne vois personne et je m’ennuie dans ma petite chambre obscure. J’espère que tu reviendras pour le mariage et que tu me ramèneras à Naples pour ne plus te quitter !… »

En attendant, elle reste auprès de l’Empereur qui l’a installée au pavillon de Flore. Aux Tuileries, dans ces semaines qui s’écoulent entre le court veuvage de Napoléon et l’arrivée de la nouvelle Impératrice, l’existence de Cour est comme suspendue ; on vit en famille. L’Empereur, tout à l’attente de sa fiancée, brûlant de la connaître et l’aimant par avance, s’occupe presque exclusivement de la réception à lui faire et n’interrompt ce soin que par des distractions violentes. Chaque jour, ce sont des galopades effrénées dans les bois proches de Paris ou de Versailles, des chasses que la reine Caroline suit en calèche : « Nous revenons dans l’instant de la chasse ; il faisait un temps magnifique et le bois de Boulogne était charmant. » Le soir, comme les grands appartemens des Tuileries sont envahis par des apprêts de fête, encombrés d’échafaudages, on se tient dans les petits appartemens ; on s’y borne à des réceptions intimes où ne figurent que les membres de la famille, les personnes du service, et, par exception flatteuse, le prince de Schwartzenberg, ambassadeur d’Autriche, et la comtesse de Metternich. Parfois, l’Empereur transporte à Rambouillet le quartier général de ses chasses ; là, dans l’étroit château, la vie est encore plus resserrée ; après le dîner, on s’amuse à des jeux de mains, qui ne sont pas toujours exempts d’inconvéniens et de périls.

« Avant-hier au soir, écrit Caroline à son mari le 24 février, il m’est survenu un accident qui aurait pu devenir un malheur, mais j’en ai été quitte pour la peur. Nous jouions au colin-maillard dans les appartemens de l’Empereur lorsque le front pointu et dur de Mme Duchâtel est venu donner si malheureusement contre mon œil que le coup m’a fait trébucher. L’Empereur m’a soutenue dans ses bras et m’a empêchée de tomber. La douleur a été si forte que j’avais poussé un cri aigu et j’ai cru que mon œil était sorti de son orbite. L’Empereur, rempli de bonté, effrayé de ma situation, a fait appeler sur-le-champ Ivan