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mais on ne me donne quelquefois pas dix minutes pour lui écrire, et je suis si étourdie des visites, du bruit, des cris, que si les courriers ne partaient que le lendemain, j’écrirais dans la nuit ; mais à peine descendue de voiture, le prince de Neuchâtel fait partir son courrier et il faut écrire avec le casse-tête. Enfin j’entends tellement crier depuis six heures du matin jusqu’à dix heures du soir et tout le long de la route : Vive l’Impératrice ! que toute la nuit, en dormant, j’entends dans mes oreilles crier : Vive l’Impératrice ! que je me réveille en sursaut et que, comme si on me forçait à crier : Vive l’ Impératrice ! je me mets à crier aussi la même chose. Je te prie d’avertir Paulette et toute la famille que lorsqu’ils me verront, à la première question qu’ils me feront, je répondrai par : Vive l’Impératrice ! car je ne sais plus dire que cela et je suis juste comme Agnelet[1].

« Toutes les fêtes sont charmantes partout, et l’Impératrice est reçue avec un enthousiasme qui tient du délire. Du reste, je ne puis assez le répéter, elle est douce, spirituelle, charmante, et fera, je suis sûre, le bonheur de l’Empereur.

« J’ai lu dans le journal à l’article Munich que le soir que j’avais été au spectacle avec le roi et la reine de Bavière, j’avais porté par galanterie les couleurs de Bavière ; je trouve que c’est d’une absurdité sans pareille et que j’aurais été incapable de faire. J’avais ce soir-là une robe de satin vert que tu me connais, avec une ceinture blanche. Ainsi, si l’Empereur t’en parlait, tu pourrais l’instruire du fait. Je voudrais bien savoir qui est-ce qui s’amuse à toujours faire écrire des mensonges… »

De Nancy, de Vitry-le-François, elle écrit encore. Au ton de ses lettres, ou s’aperçoit que Murat en beaucoup de choses témoigne toujours peu d’empressement à lui complaire et manque d’attentions :

« Nancy, 25 mars 1810. — Nous venons d’arriver à Nancy, l’Impératrice et moi ; nous sommes en parfaite santé. J’ai été peinée de ne pas trouver une lettre de toi pour le jour de ma fête, je suis aussi très fâchée que Mme Caramanica soit du voyage, je croyais t’avoir dit que c’était une chose qui me déplaisait. J’espérais que lorsqu’il s’agissait d’une dame du palais, ce n’était pas un trop grand acte de pouvoir que de te désigner celle que j’aimais le mieux ; mais patience, j’ai dans ma vie

  1. L’Agnelet de la farce de Maître Pathelin qui répondait à toutes questions par un même bêlement.