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conduits à se battre sur un terrain moins favorable. « Ils ont donné dans le panneau, » aurait-il dit. Je ne garantis pas ce propos, mais c’est ce qui explique que des politiques, comme lord Roseberry, aient dit qu’il aurait mieux valu ne pas engager la bataille et laisser passer le budget qui, mis en pratique, serait devenu très impopulaire. Quelques-uns de ceux qui ont voté avec lord Lansdowne partageaient, m’a-t-on dit, son avis. D’un autre côté, il est certain qu’à accepter un budget que lord Roseberry lui-même avait qualifié de révolution et qui était manifestement dirigé contre elle, aurait singulièrement abaissé la Chambre des Lords. La fierté avec laquelle elle a relevé le défi, la hardiesse avec laquelle elle a joué la partie, le pluck avec lequel les Lords ont personnellement donné, ont été en leur faveur. Les Anglais aiment le pluck.

Comment se terminera ce conflit qui présente assurément un singulier caractère de grandeur ? Peut-être par une transaction, connue l’histoire politique anglaise en présente tant d’exemples, comme s’est terminée la grande bataille amenée par la réforme de 1832, qui avait bien autrement agité le pays, car je persiste à dire que le pays n’est pas agité dans ses profondeurs et ne semble nullement à la veille d’une révolution. Mon confrère et ami, Eugène-Melchior de Vogué, a écrit sur les élections anglaises, au début de la période électorale, un article admirable, comme lui seul parmi nous est capable d’en écrire. Il a cru voir la Chambre des Lords renversée, la démocratie s’installant triomphante sur ses ruines, s’attaquant bientôt et victorieusement au principe même de l’hérédité royale, et, comme la monarchie est le lien qui tient ensemble le faisceau de l’Empire britannique, il a vu cet Empire, qui s’étend sur le monde, se dissolvant et se démembrant comme s’est autrefois dissous et démembré l’Empire romain. Il a trouvé de magnifiques accens pour décrire cette vision d’Ezéchiel, et son article a eu un juste retentissement, non pas seulement en France, mais en Angleterre. Pour moi, qui suis totalement dépourvu d’imagination, je ne saurais voir aussi loin, ni d’aussi grandes choses. Sans doute l’aristocratie anglaise paie déjà et paiera encore certaines fautes ; mais ses racines dans le pays sont profondes, et le vieil arbre tient encore bon. Le sentiment monarchique est plus fort que jamais, et le lien qui rattache à la Métropole les parties si dispersées de cet immense Empire se resserre plutôt qu’il ne se distend. Aussi le