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Pensées, que « la maladie soit l’état naturel du chrétien. » c’est un état dont l’expérience personnelle ne devait pas lui être longtemps épargnée. Si fier et si hardi que soit le « roseau pensant, » c’est une loi de la condition humaine qu’il ne tarde guère à rencontrer sa limite : le « brin d’herbe, » la « goutte d’eau » qui « suffisent pour le tuer » ne sont jamais bien loin de sa route. Le labeur ininterrompu auquel s’était livré Pascal depuis sa plus tendre enfance avait fini par ébranler sa santé, qui parait avoir toujours été un peu chétive. « N nous a dit quelquefois, écrit Mme Perier, que depuis l’âge de dix-huit ans, il n’avait pas passé un jour sans douleur. » Il est à présumer que la maladie eut sur lui son effet habituel : elle a ramené sa pensée sur elle-même, l’a arrachée aux « divertissemens, » même nobles, qui risquaient de l’absorber et de la séduire, elle l’a rappelée aux méditations essentielles ; elle l’a aidée à prendre conscience de sa « grandeur, » et, en même temps, de sa « misère ; » enfin elle dut affiner, exaspérer une sensibilité qui semble avoir toujours été à la fois très subtile et très ardente et qui, pour s’être renfermée dans le cercle étroit des tendresses familiales, n’en était ni moins riche, ni moins profonde. Sous l’apparence régulière de ses occupations coutumières et de son activité scientifique, son âme, à son insu peut-être, se renouvelait donc. Le Dieu « sensible au cœur » allait pouvoir y frapper.


II

On sait en quelles circonstances se fit ce qu’on est convenu d’appeler « la première conversion » de Blaise Pascal : la chute de son père sur la glace, en janvier 1646, l’intervention et l’apostolat de deux gentilshommes jansénistes, les nouvelles lectures de piété faites sous leur influence, et, finalement, l’enthousiaste adoption des doctrines et des pratiques léguées par Saint-Cyran. On venait de publier les Lettres chrétiennes et spirituelles de ce dernier ; c’était le vivant commentaire du traité, alors récent, d’Arnauld, sur la Fréquente communion, et de l’Augustinus, de Jansénius. Si l’on joint à tous ces ouvrages un discours de l’évêque d’Ypres, sur la Réformation de l’homme intérieur, qu’Arnauld d’Andilly venait de traduire en français, et que tous les historiens nous signalent comme ayant fait une très vive impression sur Pascal, on aura là les principaux écrits dont la