Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/613

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

syllogismes à enchaîner. La solution, janséniste du problème de la vie et de la destinée frappe son esprit par sa rigueur logique, et il l’accepte sans coup férir. Sous les subtils raisonnemens des « livres de piété » qu’il a lus, il ne semble guère avoir vu et senti la profonde vie intérieure qu’ils recouvrent. Du moins, il ne paraît pas avoir éprouvé la nécessité ou le besoin, comme après une grande crise morale, de changer du tout au tout le train de son existence quotidienne et de travailler activement à la « réformation de l’homme intérieur. » La vérité religieuse est pour lui un système déterminé d’idées « claires et distinctes » auquel il apporte l’adhésion de son intelligence, non pas une communion froissante de tout l’être intime avec une réalité ineffable qui le pénètre, le renouvelle et l’affranchit. Dans cette première ferveur de ses vingt-trois ans, Pascal s’est surtout converti à une théologie.

Et c’est pourquoi, sans doute, il a pu, sans difficulté, et, ce semble, sans grande lutte intime, se laisser reprendre à sa vie scientifique. Il n’a pas quitté, la région des idées pures et des vérités abstraites. Mme Perier, suivie en cela par le Recueil d’Utrecht, se trompe quand elle déclare que la première conversion de Pascal « termina toutes ses recherches, de sorte que, dès ce temps-là, il renonça à toutes les antres, connaissances pour s’appliquer uniquement à l’unique chose que Jésus-Christ appelle nécessaire. » Les faits et textes connus sont formels à cet égard[1] :

  1. Il est pourtant nécessaire d’observer que nous sommes loin de tout connaître de cette période de la vin de Pascal, et que, peut-être, si nous en connaissions tout ce qu’il y aurait intérêt à en bien connaître, serions-nous amenés à simplifier moins que nous ne le faisons, à nuancer davantage l’interprétation que nous croyons devoir en proposer. Par exemple, de janvier 1646 à octobre 1646, date de l’expérience de M. Petit, nous ne saisissons aucune trace positive de l’activité scientifique de Pascal, ce qui, bien entendu, ne veut pas dire qu’il n’y en eût pas. Mais il se pourrait aussi, — ce qui expliquerait dans une certaine mesure les affirmations, en tout état de cause excessives, de Mme Perier et du Recueil d’Utrecht, — que, pendant ces huit ou neuf mois, Pascal, plus touché à fond que nous ne le pensions, par les condamnations de Jansénius, eût pris, et un moment tenu, la résolution de renoncer à ses recherches, résolution que la voix impérieuse de son génie lui aurait bientôt fait abandonner. Notez, que c’est pendant ce temps-là que ses pressantes exhortations détachent Jacqueline du monde. Et qui sait même si lui aussi n’avait pas d’abord sérieusement songé à prêcher d’exemple ? Mme Perier dit en propres termes que « Dieu l’éclaira de telle sorte par la lecture (des écrits jansénistes), qu’il comprit parfaitement que la religion chrétienne nous oblige à ne vivre que pour Dieu et n’avait point d’autre objet que lui. » Et le Recueil d’Utrecht : « Il ne fit plus d’autre étude que celle de la Religion, et commença à goûter les charmes de la solitude chrétienne. » Peut-être toute cette histoire morale de Pascal a-t-elle été plus accidentée encore, plus diverse, plus dramatique aussi que nous ne la concevons, par les échos trop fragmentaires qui nous en sont parvenus.