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moderne du mot. Si les témoignages catégoriques de Mme Perier et du Recueil d’Utrecht ne suffisent pas à notre scepticisme, songeons à ce que plus tard la pensée d’anciens déréglemens aurait, dans une conscience comme celle de Pascal, entraîné de remords. « Or, — nous dit excellemment un de ses historiens, M. G. Michaut, — dans les passages où il exprime le plus pleinement l’idée de l’humilité chrétienne, où il a le sentiment le plus fort de la corruption des hommes, on ne sent pas l’humiliation cuisante qu’il eût éprouvée à ce seul souvenir, on ne voit pas, pour ainsi dire, la rougeur de la honte dont il eût été saisi[1]. » Serait-il d’autre part prouvé que le Discours sur les passions de l’amour fût bien de lui, il n’en résulterait point, — j’ai essayé de le montrer ici même, — que Pascal eût été amoureux. Mais il songeait à se marier, nous disent Marguerite Perier, le Recueil d’Utrecht, et Racine, dans son Abrégé de l’histoire de Port-Royal : cela nous prouve au moins qu’il n’était point insensible au charme féminin, et qu’à cet égard son passage dans les salons du temps n’a pas été perdu.

On causait dans ces salons, on y dissertait même sur toutes les choses de l’esprit et du cœur : l’homme, ses passions et ses mœurs, ses devoirs envers lui-même et envers les autres, telle était l’éternelle matière de ces libres entretiens, où chacun apportait sa part d’expérience de la vie et des livres. A ceux qu’un secret instinct poussait à chercher en dehors de la révélation la vérité morale, deux principaux maîtres fournissaient des solutions originales et précises. L’un, Montaigne, « le livre cabalistique des libertins, » alimentait depuis un demi-siècle la pensée de ceux à qui tout effort de dogmatisme moral ou intellectuel semblait peu inconciliable avec la véritable « honnêteté » et l’humilité native de la condition humaine. L’autre, Epictète, le héros de cette renaissance stoïcienne dont on n’a pas encore écrit l’instructive histoire, et qui, d’Amyot à Corneille, a été l’âme, souvent invisible, mais toujours présente, de tant d’œuvres considérables de notre littérature : il est le maître de chœur de tous ceux qui exaltent au-dessus d’elles-mêmes la raison et la volonté humaines, et qui font à l’homme un impérieux devoir de se surpasser. Aucun de ces deux écrivains moralistes n’était assurément inconnu de Pascal : nul doute pourtant, —

  1. Cf. la Prière pour le bon usage des maladies : « Seigneur, bien que ma vie ait été exempte de « grands crimes, dont vous avez éloigné de moi les occasions… »