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l’Etat augmentera son propre prélèvement. De toute façon, et même si on vous fait payer, à vous contribuable, l’ordinaire de ceux qui ont troublé votre sécurité, ce qui restera du produit de ces derniers ne sera jamais lourd. Ne dites pas qu’on ira, s’il le faut, jusqu’à la perpétuité. La plupart du temps, la perpétuité même ne suffirait pas. Quinze ou vingt ans de travaux forcés ne laissent pas accumuler à un détenu laborieux des économies supérieures à mille francs. Puis, ce serait vraiment trop matérialiser le délit et la peine. Nous l’avons vu dans un précédent travail, un homme qui n’aura causé — à son grand regret — qu’un dommage léger sera souvent plus coupable et plus dangereux que tel qui, par un concours imprévu de circonstances, aura causé malgré lui un dommage beaucoup plus considérable.

« Là où il n’y a rien, le Roi perd ses droits : » ce n’est pas uniquement à l’argent liquide que le proverbe peut s’appliquer. Un notaire est arrêté pour abus de confiance ou pour faux ; un négociant a fait une banqueroute frauduleuse. Essaierez-vous de consacrer dorénavant leurs bénéfices à la réparation de leurs torts ? Mais par le seul fait que l’un et l’autre sont dénoncés et reconnus responsables, le premier ne peut plus être notaire et le second ne peut plus être négociant : car les honnêtes cliens les abandonneraient et les autres ne sauraient être que leurs complices. Comment donc la société se paierait-elle sur une étude et sur un fonds qui n’existent plus ? D’un autre côté, les déclarer simplement déchus paraîtrait aux intéressés une formalité bureaucratique plutôt ridicule ; car en dehors de la fonction ou de la profession régulières dont ils ont travaillé eux-mêmes à se dépouiller, reste toujours la profession interlope, aux gains parfois supérieurs, mais toujours soigneusement dissimulés. Le notaire en déconfiture se fait homme d’affaires, le négociant failli se faire courtier en contrefaçons, en objets prohibés et fraudés, en denrées frelatées… L’un et l’autre sont d’autant plus courus que leur métier se fait plus clandestin ; car, s’ils se cachent, celui qui s’adresse à eux pour tourner ou violer la loi, espère bien se cacher dans la même ombre. La peine ici proposée ne saurait donc, elle aussi, avoir d’effet que pour les fautes qui ont pu laisser encore un gage sérieux dans la personne et dans les biens du contrevenant. Auprès des gros coupables, elle ne serait qu’un objet de dérision.

Il est clair qu’il faut en dire autant de la déchéance de la