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de patronage peuvent remarquer en eux sous ce rapport un changement caractéristique. Il y a dix ans, ils étaient encore très soucieux d’obtenir que leur condamnation fût ignorée : ils demandaient qu’on ne leur cherchât du travail que là où on ne connaîtrait pas leur passé. Aujourd’hui, les plus jeunes détenus de Fresnes répondent au représentant de la société de patronage qu’étant bons ouvriers, ils n’auront aucune peine à trouver par eux-mêmes un emploi bien payé. Les mêmes facilités semblent exister hors de France. Un directeur très avisé des prisons belges, actuellement directeur de la prison de Namur, l’affirme très expressément pour son pays ; il cite même à ce propos, pour l’avoir personnellement observé, le cas d’un individu qui obtint un emploi d’encaisseur après avoir subi dix-huit condamnations, dont plusieurs pour vol. Le patron qui a tenté ce sauvetage avait-il trop de confiance, ou pensait-il qu’il eût dû se défier également de tout autre candidat ? Le second sentiment pouvait à la rigueur produire les mêmes effets que le premier.

En résumé, de chacun de ces modes d’administration de la peine on peut dire : Ce sont les moins coupables qu’il frappera le plus sévèrement ; les plus dangereux y échapperont ou s’en joueront. En tout cas, un système pénitentiaire rationnel ne saurait trouver là qu’une certaine variété de substituts de la peine, substituts à étudier sans doute, à appliquer de temps à autre avec discernement, et de manière à mesurer ce qu’ils perdent ou ce qu’ils gagnent dans l’opinion. Mais ce qui est possible, dans des cas choisis, ne peut supplanter toute autre méthode. Il y aurait même contradiction à ce qu’on le tentât : car alors on engloberait indistinctement dans un même système peu souple des gens auxquels on a la prétention d’appliquer une justice mieux proportionnée à ce qu’ils méritent et à ce qu’ils peuvent supporter.


Il en est de même de ce mode de retranchement de la vie sociale ordinaire qu’on appelle la transportation.

Ne nous étonnons pas que cette célèbre utopie ait été et soit encore plus tenace chez nous que chez les autres. Ne sommes-nous pas le peuple de l’a priori, de la construction idéale et rationnelle ? et n’avons-nous pas contracté cette maladie, cent fois plus maligne, de croire qu’on peut vaincre la