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Ces critiques trouvent un écho en Belgique même, et le Roi les relève alors avec une colère mal contenue. À la gratitude qui se refuse, il répond par le rappel de ses larges services et de ses droits imprescriptibles : « La Belgique, écrit-il, a bien voulu m’aider de ses deniers dans quelque mesure, mais le soin de constituer le nouvel État m’a incombé exclusivement. Le Congo a donc été et n’a pu être que mon œuvre personnelle. Mes droits sur le Congo sont sans partage. Ils sont le produit de mes peines et de mes dépenses. Vous ne devez pas cesser de les mettre en lumière. Car ce sont eux et eux seuls qui ont rendu possible mon legs à la Belgique. Ces droits, il m’importe de les proclamer hautement. Car la Belgique n’en possède pas au Congo en dehors de ceux qui lui viendront de moi. Si je n’ai garde de laisser péricliter mes droits, c’est bien par patriotisme et parce que, sans eux, la Belgique serait absolument dépourvue de tout titre. » Le sens de ce rappel hautain s’accuse par l’exigence d’obtenir de la Belgique, pour sa future colonie, le respect du Domaine de la Couronne déjà existant et du Domaine national à constituer. Le conflit moral s’aggrave entre le peuple et son Roi. En vain les ministres prêchent aux Chambres la reconnaissance. La Belgique ne veut pas que le Congo soit un don grevé de servitudes, et la Chambre, à l’égard de ce don, proclame entière sa liberté et sa souveraineté. Les ayant proclamées, elle en use aussitôt pour discuter un projet de loi coloniale, charte intérieure de la colonie de demain.

Léopold II qui, quelques semaines plus tôt, avait protesté contre une annexion immédiate préparée dans ces conditions, juge l’heure venue de jeter du lest. Les sacrifices qu’il consent et que les circonstances lui imposent ne sont pas d’ailleurs sans grandeur. Car la volonté l’anime de donner quand même à la Belgique ce qui a été créé à son intention. Au milieu des luttes intérieures et extérieures, en face d’attaques qui trouvent un écho jusqu’à la Chambre des Communes et jusqu’au Foreign Office, Léopold II suit son chemin, et le 3 décembre 1907, le traité de cession est déposé sur le bureau de la Chambre belge. Ce traité précise le conflit. Car si le Roi persiste à faire déclarer dans la presse que toutes les conditions qui s’y trouvent inscrites sont intangibles, une notable partie de la Chambre s’élève contre ces conditions. Céder, c’est abandonner à la fois des principes et des profits ; résister, c’est compromettre, sous la menace étrangère,