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feu roi, dans l’Europe troublée du dernier demi-siècle, de mener à bien ce dessein ? Rien qui ne ressorte des conditions mêmes dans lesquelles cette diplomatie était obligée d’évoluer. Considérez Léopold II à une heure quelconque de son règne : peut-être serez-vous tenté de lui attribuer des inclinations pour une puissance, des antipathies pour une autre. Considérez l’ensemble de ce règne : il se caractérise, dans l’ordre international, par un scepticisme absolu. Comme les partis au dedans, les peuples au dehors ne sont pour le roi des Belges qu’un instrument et il n’est point d’instrument si parfait qu’il puisse suffire à tout effort : d’où les changemens de moyens qu’exige l’unité du but. De 1865 à 1875, c’est une période de réserve et de préparation. On en a signalé les tendances allemandes : Napoléon III, il faut l’avouer, avait tout fait pour les provoquer. Mais ces tendances ne valent point contre la vue juste des choses, contre la nécessaire appréhension qu’inspire au patriotisme belge la naissance à ses portes du formidable Empire allemand, contre l’examen de la carte qui prouve qu’en cas de guerre l’Allemagne, beaucoup plus que la France, aurait avantage à violer la neutralité belge. D’où la politique militaire qui, propre à fournir une garantie générale, répond cependant de façon spéciale au fait nouveau de 1871 et tire pour la Belgique la conclusion du bouleversement de l’ordre européen.

Une fois engagé en Afrique, Léopold II n’observe plus : il agit et, ici encore, il agit sur tous les terrains, usant de tous, ne se fixant à aucun. Dès le principe, lors du traité anglo-portugais de 1884, il est en conflit avec l’Angleterre. Mais jamais il ne rompt le contact et dix ans plus tard on le trouve en pourparlers avec Londres, pourparlers que l’action concertée de Paris et de Berlin empêche d’aboutir. Dans les deux cas, la méthode est la même, insinuante, en apparence tâtonnante, supérieurement avisée dans le choix du moment, toujours prête aux concessions indispensables. La dernière période de l’affaire congolaise est plus difficile en raison de l’hostilité croissante de l’Angleterre. Le Roi est en face d’une menace directe, et quand sir Edward Grey s’écrie à la Chambre des Communes : « Je répéterai ce que j’ai déjà dit. Quelle que soit l’intention des puissances, il nous serait impossible d’accepter plus longtemps l’état de choses actuel… Je ne crois pas que nous puissions attendre indéfiniment… Nous avons été jusqu’ici les meilleurs amis de la Bel-