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apparences de résignation sa lettre ne respire que révolte :

« Je vais essayer de répondre à ta lettre du 3, mon aimable Caroline ; tu as parfaitement raison dans tout ce que tu m’écris, et je t’assure que tu n’as rien pensé là-dessus qui ne m’eût fortement et sérieusement occupé, et mon système de conduite d’accord avec mes sentimens ont toujours prouvé que je voyais comme toi, mais, sans nous aveugler, je prévoyais différemment. Mais je me trompe, tu prévois les mêmes événemens que moi, mais avec du courage et une conduite sage, on doit attendre avec résignation et se préparer d’avance aux événemens qu’il n’est pas en notre pouvoir d’empêcher.

« L’Empereur m’accuse de ne pas faire ce qu’il veut, de ne pas le consulter. Tu sais le contraire, et je me crois dispensé de répondre à cet égard ; je me suis constamment appliqué à faire sa volonté. L’Empereur me blâme de ce que j’ai fait pour Lucien, je m’en applaudis et, si j’étais à le faire, malgré la défense de Sa Majesté, je le ferais encore ; j’ai pleuré sur son sort comme sur celui du bon Louis.

« Comment l’Empereur a-t-il pu tenir au jeune grand-duc de Berg le langage qu’il lui a tenu ou du moins comment a-t-il pu le rendre public ? C’est tout ce qui pouvait sortir de plus pitoyable de sa bouche. Louis est détrôné, errant, malade, et les journaux l’assaillent d’invectives !… Il (l’Empereur) croit faire sa cour aux Français, il est loin de réussir en se montrant si peu généreux. Quel rapport que celui de Champagny ! La Hollande s’est ruinée pour la France, par la France, et l’Empereur l’a réunie à la France, et on donne pour motif qu’elle ne peut plus exister indépendante, parce qu’elle ne peut plus payer ses dettes. C’est le comble de l’impudence. Aujourd’hui, il m’impose des conditions onéreuses, il me fait signer un traité injuste et reconnaître une dette encore plus injuste ; il diminue mes revenus, écrase mon commerce, paralyse mes fabriques, me commande une expédition ruineuse, me demande une marine, empêche les exportations, enfin il me met dans l’impossibilité de supporter tout cet énorme fardeau qu’il m’impose. Il prend des décrets en maître, prescrit des dispositions à Naples comme à Paris, et quand le moment sera arrivé et que sa politique ou un caprice lui auront conseillé de me faire descendre du trône, le duc de Cadore ira faire un autre pompeux rapport sur le roi de Naples, comme il l’a fait sur celui de Hollande.